À Martine Robbeets, et Gina Barnes, deux femmes exceptionnelles et inspirantes, aux connaissances incomparables.
Avant-propos
Longtemps comparées et associées, jumelées puis dissociées, ou encore attachées à des mythes obscurantistes erronés, le japonais et le coréen sont deux langues qui firent bien souvent l’objet de maintes controverses.
Nous allons tâcher dans cet article de montrer l’origine commune de ces deux langues et leurs entrelacs, à travers une analyse holistique mêlant linguistique, histoire, et archéologie.
Au cours de notre développement, nous ne débuterons ni par le mythe coréen de Tanggun ni par celui du panthéon japonais du Kojiki qui biaisent complètement l’histoire en la faisant débuter en 2333 avant notre ère pour les civilisations coréennes, et entre 300 et 400 de notre ère pour les civilisations japonaises.
Nous remonterons premièrement au Paléolithique, temps où les premiers hommes issirent du continent africain pour s’avancer sur les terres encore vierges de notre planète, et où s’esquissèrent alors les premières langues…
Note : Toutes les traductions qui suivront ont été réalisées par l’auteur, au plus près des archives et textes anciens ayant parfois plus de deux mille ans, et cela afin de proposer une approche intime des sources anciennes, souvent les racines ou le point de départ de l’analyse ; aussi l’auteur saura-t-il gré au lecteur de le pardonner si ses traductions comportent parfois quelques erreurs.
De la naissance des langues et de l’agriculture
Du Paléolithique au Néolithique
Période abordée : 2 000 000 ~ 40 000 à 5700 avant notre ère
Depuis les temps immémoriaux du Paléolithique, de nombreux hommes migrèrent de l’Afrique, berceau de toutes les civilisations, pour se répandre, par deux fois (les plus documentées), à travers le monde. La première vague eut probablement lieu il y a 2 000 000 d’années, comme en témoignent entre autres de nombreux sites archéologiques en Chine et dans la péninsule coréenne.
Plusieurs de ces vagues fragmentées peuplèrent petit à petit la Chine et la péninsule coréenne puis le Japon, notamment la deuxième, ayant eu lieu entre 100 000 à 60 000 avant notre ère durant lesquelles se propagèrent probablement les premières langues, appelées proto-langues, potentielles ancêtres de celles que nous connaissons aujourd’hui. Ces vagues s’étendirent également jusqu’à l’Australie, ainsi qu’aux confins de l’Amérique du Sud pendant près de 60 à 40 000 ans.
Probablement plusieurs de ces migrations, arrivant sporadiquement, passèrent par le nord-est de la Chine actuelle, près de la région du désert de Gobi, puis avancèrent par les steppes de Sibérie et de Mongolie. Elles se fragmentèrent ensuite, avant de longer les côtes extrême-orientales russes et d’atteindre le Japon, comme nous l’avons déjà relaté dans un article précédent.
Ces migrations permirent aux premières civilisations prénéolithiques de se développer en Mongolie, au sud de la Corée du Nord actuelle et au nord-ouest de la Chine.
Plusieurs autres vagues plus récentes, que l’on fera débuter vers la fin de la glaciation du Würm vers 12 000 avant notre ère — comme nous l’avons déjà vu, la fonte des glaces après le Würm a rendu possible l’agriculture caractéristique du Néolithique tout en ayant exhaussé le niveau des eaux —, partirent du Croissant Fertile, cette vaste région au Moyen Orient favorable à l’agriculture et l’un de ses berceaux le plus ancien jusqu’à présent. Elles en amenèrent pied à pied certaines techniques agricoles et autres plantes nouvelles comme le millet (deux variétés) ou le blé, vers la Chine puis la péninsule coréenne, et enfin très tardivement vers le Japon comme nous le verrons. Nous penserons notamment aux fermiers d’Anatolie (ancien nom d’une région de la Turquie actuelle) qui permirent probablement, entre 8000 à 7000 avant notre ère, la diffusion de l’agriculture en l’Eurasie, d’est en ouest.
La culture du millet est attestée chez les civilisations néolithiques chinoises de Yangshao, peut-être aussi précurseuse de l’écriture chinoise, et de Dawenkou vers 6000 avant notre ère. Elle fut amenée probablement par des migrants venus du Croissant Fertile qui la transmirent aux « Trans-eurasiens », véhiculant une langue appelée le « proto-transeurasien ». Cette langue refléta, par de multiples empreints, les débuts de l’agriculture dans cette partie de l’Asie ; car nous savons que les mots « blé » et « millet » dérivèrent au fur et à mesure de la longue route de l’Eurasie pour devenir les mots que nous connaissons actuellement en chinois, japonais et coréen. Cette langue trans-eurasienne témoigne également des premiers essais d’apprivoisement du cheval, puisque ce mot « cheval » provient du proto-mongol que parlaient les hommes qui l’ont apprivoisé dans les plaines du Kazakhstan, probablement vers 3500 avant notre ère.
Ces Trans-eurasiens se répandirent dans le nord de la péninsule coréenne, près du bassin du Liaodong, une région fertile bien irriguée par les eaux de différents affluents et sous-affluents des fleuves Liao et Daedong, et de ce fait favorable à une installation humaine à long terme. L’histoire du peuplement humain et des langues n’étant de surcroît guère linéaire, ces peuplades migratrices se ramifièrent pour se disséminer sur les côtes extrême-orientales de la Russie et le nord-est de la Corée du Nord actuelle.
C’est dans cette région du Liaodong que commence ainsi réellement l’histoire du coréen et du japonais, à partir du proto-transeurasien, une langue ancestrale influencée par celle des agriculteurs du Moyen Orient.
Pendant l’installation des agriculteurs du Néolithique, les futurs habitants de la péninsule coréenne, dans les contrées froides et montagneuses du Liaodong, l’homme de Jômon, lui aussi tout à fait doué d’une parole très lointainement apparentée aux anciens Trans-eurasiens, avait continué de s’étendre depuis au moins 7000 ans sur l’archipel japonais, qui était alors complètement emprisonné par les eaux.
(https://www.nature.com/articles/nature19365),
(Figure 2) Atsushi Tajima « Three major lineages of Asian Y chromosomes: implications for the peopling of East and Southeast Asia » in Human Genetics 110(1):80-8 · February 2002
https://www.researchgate.net/publication/11549674_Three_major_lineages_of_Asian_Y_chromosomes_implications_for_the_peopling_of_East_and_Southeast_Asia
Des proto-langues, ou des prémices du japonais et du coréen
Du Néolithique supérieur à l’inférieur
Période abordée : de 5700 à 900 avant notre ère
Nous comprenons ainsi que des peuples migrateurs parvinrent dans la région du bassin du Liaodong, et s’y installèrent, puis qu’ils furent plus tardivement influencés par l’agriculture, le pastoralisme et d’autres techniques nouvelles.
Des mots comme « blé », « millet », ou encore « cheval » — étymologies expliquées ci-dessous — témoignent de ces empreints, tout comme l’agrégation de sites archéologiques remontant à des dates presque similaires et se déployant chronologiquement en éventail depuis cette région.
(cf. carte ci-dessous)
La langue proto-trans-eurasienne se ramifia vers 5700 avant notre ère en diverses branches, dont le proto-mongol, le proto-tongouse — langues du nord-est de la Corée du Nord et sud-est de la Russie —, le proto-turc, et enfin le proto-coréen-japonais, lorsque le millet fut introduit dans la péninsule coréenne par la région du Liaodong, vers 3000 avant notre ère.
Il se produisit dès lors un changement culturel brusque dont témoignent les poteries de l’époque Chulmun (즐문) (6000 à 2000 avant notre ère), une appellation qui signifie « motifs » (문 | 紋) en forme de « peigne » (즐). Cette civilisation coréenne néolithique se caractérisait par des poteries endentées dont les motifs en forme de dents de peigne étaient obtenus par l’utilisation d’un menu objet creusant le biscuit de la céramique.
Les hommes de Chulmun descendirent peu à peu vers le sud de la péninsule, opérant la première fragmentation linguistique nord-sud qui délaissa les peuples directement issus des Trans-eurasiens dans les régions nordiques ; tandis que les peuplades parlant le proto-coréen-japonais se déplacèrent vers le centre, puis le sud de la péninsule coréenne pour former de nouvelles civilisations agricultrices, ce dont témoignent des amas coquillers non loin des côtes.
La culture du riz, originaire de la Chine et très probablement du bassin du fleuve Jaune, date de 7000 à 5000 avant notre ère, sous forme sèche, mais ce n’est que vers -1300, que cette culture en rizière inondée se propage dans la péninsule coréenne, à nouveau par le berceau de son agriculture : la péninsule du Liaodong. Cette transmission agricole provoqua un nouveau choc culturel qui s’observe chez les peuples néolithiques auparavant installés, car ils semblèrent s’y être opposés en érigeant des dolmens, puissantes preuves lithiques paraissant enraciner la culture locale dans la terre face à l’envahisseur venu du nord. Nous en comptons en effet près de 40 000 dans toute la péninsule.
Lors de nouvelles migrations, des peuples issus des Trans-eurasiens descendirent derechef du nord de la péninsule coréenne, se fragmentèrent en petites tribus pourvues de chefs, et communiquant par des langues très probablement apparentées : nous y verrons probablement les tendrons des divers dialectes du coréen actuel.
Ces migrations humaines formèrent la civilisation dite de Mumun (무문) (1300 à 57 avant notre ère) dont la poterie ne comporte, comme son nom l’indique, aucun (무 | 無) motif (문 | 紋), et qui semble marquer une nouvelle regimbade face à un intrus.
Cette civilisation marque également le début de l’Âge du Bronze dans la péninsule coréenne : après avoir débuté vers le milieu du Néolithique en Chine vers 5000 avant notre ère de manière fruste, puis s’être développée à l’époque des Shang (1570 à 1046 avant notre ère), qui déploya force main d’œuvre pour miner et fondre ce métal, la métallurgie et les diverses connaissances liées au bronze se transmirent par la même péninsule du Liaodong.
À l’époque des Shang, les tombes des élites chinoises étaient richement décorées, et comprenaient parfois des objets en jade, des chars et leurs chevaux, des serviteurs inhumés vivant mais également maints objets précieux ; aussi cette pratique funéraire influença-t-elle fortement la culture de Mumun, qui la transmit par la suite au Japon vers l’époque Yayoï (900 avant à 400 de notre ère).
(https://www.cambridge.org/core/journals/evolutionary-human-sciences/article/tracing-population-movements-in-ancient-east-asia-through-the-linguistics-and-archaeology-of-textile-production/440213710888C5D9488901B27E047D03)
(Figure 2) 빗살무늬토기 국립중앙박물관 (National museum of Korea, Chulmun ceramic)
https://www.museum.go.kr/site/main/relic/search/view?relicId=4328#
Court interlude sur le chamanisme
Certains chercheurs présument également, à cette fin du Néolithique, l’aube du shamanisme coréen probablement prédite par la Chine des Shang : les chaman(e)s de cette dynastie pratiquaient en effet des rituels divinatoires impliquant des os d’animaux, tels que des carapaces de tortue ou des os de bovidés, et qui sont intimement liés à l’écriture ossécaille que nous avons déjà abordée.
Vers 1000 avant notre ère, la dynastie des Shang semble avoir transmis cette pratique à la civilisation de Mumun qui la véhicula plus tardivement au Japon.
Pour mieux comprendre ce legs culturel, rappelons ici que Himiko, première impératrice « recensée » de l’archipel japonais, alors nommé Pays des Wa, semblait également pratiquer la divination comme indiqué dans les archives chinoises. Nous citerons en l’occurrence « Chroniques des trois Royaumes (三國志) », dans sa section « Chroniques des Barbares de l’Est (東夷傳) » qui furent écrites au IIIe siècle de notre ère, à l’époque des dynasties Nord et Sud :
[…] 輒灼骨而卜,以占吉凶,先告所卜,其辭如令龜法,視火坼占兆。[…]
[…] Souventes fois brûlait-elle des os pour la divination puis en déduisait-elle le bon et le mauvais augure avant de l’annoncer : ces pratiques s’apparentaient à la divination ossécaille*, où l’on observait le feu craqueler [les os d’animaux] et déterminer les augures. […]
*On fait ici référence à la « méthode de la tortue 龜法 », qui n’est nulle autre que la méthode de divination ossécaille. Quant aux tortues sacrifiées pour ces rituels, nous penserons à la tortue japonaise nihon ishi-gamé (ニホンイシガメ), endémique des régions sud-ouest du Japon des îles de Shikoku ou de Kyûshû mais aussi des petites îles charnières de Tsushima et Iki, où se trouvait probablement une partie du mythique et morcelé pays des Wa gouverné par Himiko, ladite impératrice japonaise.
La tortue ne figurait par ailleurs guère dans les habitudes alimentaires de l’homme de Jômon ni de celui de Yayoï, car on n’en retrouve que peu de fragments dans les amas coquillers néolithiques. Plusieurs sites archéologiques témoignant de plastrons de tortues gravés de sinogrammes, on supposera par conséquent que cette méthode de divination ne peut être qu’originaire de la Chine des Shang qui l’introduisit involontairement au Japon via la péninsule coréenne, ce qui nous montre à nouveau une transmission de la culture mais aussi de la langue par grandes dérivations sur plusieurs siècles.
Les sites archéologiques de Hara no tsuji et de Karakami situés sur la petite île japonaise d’Iki ont notamment permis la découverte d’os de sangliers et de cerfs, voire même de dauphins pour certains sites, tous utilisés à des fins divinatoires et rappelant la Chine des Shang.
La civilisation de Mumun s’était donc peu à peu propagée sur les côtes de la péninsule coréenne et, vers 900 avant notre ère, elle s’embarqua sur des esquifs en bois de fortune, mais plus exactement en pin blanc de Corée dont on a retrouvé des vestiges sur le site archéologique de Bibong-ri (비봉리 유적) dans le sud de la péninsule.
Nous la voyons maintenant débarquer au nord de l’île de Kyûshû, dans le Japon de Jômon qui, pendant plus de 10 000 ans, était demeuré sans agriculture, n’avait que très peu navigué outre-mer, et ignorait probablement le forgeage des minerais que ses îles recelaient.
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(http://biz.heraldcorp.com/view.php?ud=20120424000212)
Carnet de vocabulaire du proto-coréen-japonais à nos temps
Millet et riz
Ce vocable a dérivé du proto-turc : arba ; proto-mongol : arbai ; proto-tongouse : arfa ; proto-japonais : apa, au japonais actuel awa (粟) et coréen actuel bap (밥).
En coréen il signifiait probablement « céréale cuite », donc « repas » que l’on mange d’ordinaire, qui a donné « riz cuit » donc « repas » à notre époque, car le riz est l’élément principal d’un repas.
Le « millet » se dit présentement jopssal (좁쌀) en coréen.
Blé
On observe ici une probable transmission du Croissant fertile à la Chine sous la racine mere, puis en proto-tongouse : murgi, proto-coréen : milk, proto-japonais : munki, pour donner mugi (麦) en japonais actuel et mil (밀) en coréen actuel.
Champ
A dérivé du proto-mongol : (h)atar « terre en friche », en proto-coréen : pat(h) et proto-japonais : pata, au japonais actuel : hatake (畑), et coréen actuel bath (밭).
Bateau
A dérivé du proto-coréen-japonais : pOnye, en japonais actuel : fune (船), et coréen médiéval : pOy puis coréen actuel : bae (배).
Les hommes de Mumun ayant traversé les eaux sur des embarcations de bois pour se rendre sur l’archipel japonais, cette transmission du mot proviendrait plus logiquement du proto-coréen-japonais, plutôt qu’être demeuré un vocable de la langue de Jômon.
Houe
Provient du proto-coréen-japonais : salpyi ou sapi, qui a dérivé en japonais actuel suki (鋤), et en coréen actuel sap (삽) signifiant maintenant « pelle », et dont le sens a fort dérivé.
Le mot de Koguryeo écrit phonétiquement 加尸 (kal) a donné 갈 (gal) et 가래 (garae), qui lui fait à présent référence à une « bêche » alors qu’il désignait autrefois une « charrue ».
Nous observons à nouveau l’adoption parfois dérivée de certains mots concernant l’agriculture.
Cheval
A dérivé de morï-n en proto-mongol, murin en proto-tongouse, mol en proto-coréen, muma/uma en proto-japonais pour devenir mal (말) et uma (馬) en coréen et japonais contemporains, muma étant un réflexe archaïque toujours présent chez les habitants des îles Ryûkyû, mais qui a désormais disparu dans la plupart de l’archipel.
Du proto-coréen-japonais vers le coréen et le japonais anciens
De la fin du Néolithique à « l’Antiquité »
Période abordée : de 900 avant au Ier siècle de notre ère
Plusieurs groupes de la civilisation de Mumun migrèrent progressivement vers l’archipel japonais durant plus de 500 ans, soit environ de 900 à 400 avant notre ère. Ils y apportèrent leur savoir-faire en agriculture (riz, millet), leurs techniques de poterie et de tissage, comme le prouvent les nombreux sites archéologiques de l’île de Kyûshû, dont les productions céramiques présentent des ressemblances apparentes à celles du sud de la péninsule coréenne, mais également le vocabulaire lié au tissage qui subsiste encore dans les deux langues. (Pensons en l’occurrence au mot « chanvre », qui est expliqué ci-dessous.)
L’Âge du bronze (1000 à 400 de notre ère) se développa progressivement dans la péninsule coréenne, influencé par la Chine des Shang puis des Zhou (1046 à 256 avant notre ère), et atteignit également le Japon via la voie maritime. Pensons notamment aux cloches dôtaku en bronze (cf. photo) qui sont gravées de motifs zoomorphes et étaient pourvues d’une corde pour les pendre ; elles avaient autrefois un rôle musical sous la Chine des Shang, mais devinrent peu à peu des objets rituels ; leur but était probablement d’assurer la fertilité des terres, car certaines furent enterrées en compagnie d’autres objets en bronze comme des miroirs.
Lors de ces débarquements sur les côtes japonaises, la langue de la civilisation de Mumun rencontra l’ancestrale langue de Jômon, et l’absorba presque entièrement.
Il est par conséquent fort probable qu’elle adopta également certains vocables de Jômon, comme le mot « ours » qui se dit « kuma » en japonais et « kom » en coréen, tirant tout deux sources soit de la langue de Jômon et du mot « kamuy » ou bien du proto-coréen-japonais « kuma ». Les hommes de Jômon semblaient en effet vouer un culte au dieu-ours comme les Aïnus à présent, tout comme le mythique royaume coréen de Gojoseon.
Malgré les quelques mots millénaires de Jômon ayant probablement survécu, ce fut plus vraisemblablement l’homme de Jômon qui vit sa langue pour la plupart engloutie dans le gouffre du proto-coréen-japonais des péninsulaires coréens, lorsque se produisit la transition soudaine de l’époque de Yayoï (900 avant à 400 de notre ère).
Sur ces entrefaites, les civilisations chinoises se voulaient grandissantes et entreprenantes, et transmirent le forgeage du fer à la civilisation coréenne qui le légua par la suite à la japonaise, vers 400 avant notre ère. Les premiers objets en fer retrouvés sur l’archipel japonais étaient des outils agricoles coréens, mais par la suite armes et outils furent fabriqués au Japon.
Ce fer permit aux civilisations chinoises vers 600 avant notre ère de créer des armes de meilleur aloi tandis qu’elles s’entredéchiraient en maints petites royaumes lors d’une époque appelée Les Royaumes Combattants (du Ve siècle à 222 avant notre ère).
Les hommes de Mumun et de Jômon s’étaient alors très probablement fondus en un peuple plus homogène sur l’archipel ; ils pratiquaient l’agriculture qui donna naissance aux premiers hameaux, puis villettes, mais aussi aux premiers conflits armés, et rivalités matérialistes, commettant ainsi les mêmes erreurs que leurs pairs chinois dans une autre partie peu éloignée de ce petit monde.
Vers 400 avant notre ère voire un peu avant, le royaume coréen de Gojoseon — voir également la chronique annexe qui lui est dédiée — a très probablement dû exister, entre les fleuves Liao (péninsule du Liaodong) et Daedong (fleuve traversant Pyeongyang), en prenant pour capitale Pyeongyang. Les villes de ce royaume étaient semi-fortifiées, témoignant de ce fait du début d’une centralisation du pouvoir et très probablement d’une élite potentiellement lettrée. D’autres petites tribus l’environnaient (telles que Buyeo, Yaemek, Okjeo, Dongye), comme l’attestent les archives chinoises et les découvertes archéologiques montrant différents types de poteries dispersés dans le nord de la péninsule ; mais Gojoseon fut bientôt affaibli par les attaques successives du royaume chinois de Yan (du IVe siècle à 222 avant notre ère) appartenant aux Royaumes Combattants. Ce royaume avoisinait le nord de la péninsule coréenne a joué un rôle très important dans la transmission de la culture et technologie chinoise.
Nous pourrions de ce fait supposer qu’au soir du Néolithique (vers 400 à 100 avant notre ère) certaines ramifications des civilisations coréennes, en particulier ses tribus nord-est qui jouxtaient les contrées chinoises, furent en contact avec les sinogrammes chinois sous leur forme sigillaire, et datant également des mêmes Royaumes Combattants.
En 194 avant notre ère, une date attestée cette fois par les archives chinoises et coréennes, un Chinois déchu du nom de Wiman venant du royaume de Yan vint installer des commanderies chinoises dans le nord de la péninsule coréenne, en assassinant très probablement le souverain du royaume de Gojoseon pour y asseoir son pouvoir.
Son règne ne fut cependant que de courte durée car la puissante et influente Chine des Hans (206 à 220 avant puis de 23 avant à 220 de notre ère) qui unifia langue et écriture, monnaie mais aussi poids et mesures, le vint écraser. Les Hans maintinrent toutefois cette colonie chinoise dans le nord de la péninsule coréenne, et la divisèrent,vers -108, en quatre branches, dont l’une appelée Lelang avait sa capitale à Pyeongyang, telle celle du légendaire royaume de Gojoseon puis de Goguryeo (qui naîtra bientôt).
Ces commanderies durèrent près de quatre siècles, jusqu’à leur conquête par le royaume de Goguryeo. Nous devinerons ainsi que la péninsule coréenne commença sa sinisation, par l’apport impérieux de la culture chinoise, et que certaines tribus de la péninsule coréenne du premier siècle avant notre ère adoptèrent probablement les sinogrammes pour écrire leur langue phonétiquement, ce dont il ne reste, hélas, presque aucune trace, pour des raisons que nous verrons plus loin.
Selon les archives chinoises et les sites archéologiques, la péninsule coréenne n’était en ces temps point encore unifiée comme la Chine des Hans ; elle était plutôt constituée de diverses petites tribus citées plus haut, qui étaient les descendantes des civilisations néolithiques trans-eurasiennes d’antan, et qui avaient sûrement subi l’influence des Chinois des Hans. Celles-ci se confrontèrent aux envahisseurs Hans qu’elles finirent par bouter hors de leur territoire. Aussi comprendrons-nous que la péninsule coréenne était autrefois séparée en deux langues : les langues proto-trans-eurasiennes influencées par le chinois des Hans et pratiquées au sein des commanderies chinoises dans les régions méridionales, auxquelles s’opposaient les langues proto-japonais-coréennes parlées par les tribus nordiques, comme Buyeo puis le royaume de Goguryeo.
Ces tribus variées nord et sud parlaient très probablement toutes une langue apparentée, marquée par une influence chinoise et trans-eurasienne, au vu de leur ancêtre commun qu’était le proto-trans-eurasien, mais aussi des archives chinoises témoignant de ces similitudes. Elles donnèrent ensuite naissance à trois royaumes d’une grande influence sur la langue et la culture coréenne et japonaise : Shilla (-57 à 668), Baekje (-18 à 660), Goguryeo (-37 à 668). Sans oublier la confédération de Gaya (42 à 562), un assemblage de petits territoires, dont on ne parle jamais assez malgré son rôle pivot, notamment dans la métallurgie. (cf. chronique annexe en fin de récit)
Ces trois (puis quatre) royaumes se partagèrent la péninsule coréenne : Shilla dans le sud-est, Goguryeo dans le nord et Baekje au sud-ouest, la confédération de Gaya étant enclavée entre Baekje et Shilla dans le sud-sud-est du pays.
Leur étymologie étant fort difficile à retracer avec précision, nous pouvons seulement la deviner :
Shilla (新羅 | 신라) : ainsi qu’au moins huit appellations différentes, nous semble provenir tout d’abord d’un ancien mot oublié de ce royaume et retranscrit en sinogrammes phonétiques.
Nous pourrions y comprendre le mot « pays » abrégé 나(라) | na(ra), car il était partagé dans la péninsule par une seule syllabe en « na » ou « ra », ou encore une origine à lier au métal et l’or, voire même au ver à soie et ses soieries, grande spécialité du royaume.
Au début du Ve siècle le roi Jijung (지증왕) unifia ces appellations, si bien qu’il demeure à notre époque le nom Shilla, qui signifie les « exploits sans cesses renouvelés (新 | 신 (shin) qui semblait prononcé comme 새 (sae) signifiant « nouveau » à notre époque) du pays qui englobe (羅 | 라 | ra) les quatre directions », auquel on verra sûrement un cognat avec le mot 나라 (nara | pays).
Nous comprendrons ainsi « pays aux exploits sans cesses nouveaux », ou bien une francisation en serait « Villeneuve ».
Baekje (百濟 | 백제) : semble s’être premièrement appelé 십제 (十濟 | shipje) en référence aux tribus qui ont formé ce royaume ; puis 백제 (百濟 | baekje), dont l’explication la plus plausible semblerait faire référence à sa puissance grandissante rassemblant cent (백 | 百 | baek) personnes s’y étant acheminées par les eaux (濟 | 제 | je) (rivières et mers), ou encore un pays où la paysannerie (désignée par 百) aurait suivi le roi d’une grande mansuétude.
Nous comprendrons ainsi « pays des cent fleuves et mers » ou encore « pays de la gent populaire », ou bien une francisation en serait « Bonfort » ou encore « Bellefort ».
Goguryeo (高句麗 | 고구려) : semblerait provenir d’un mot ancien reconstruit en 구루 (句麗 | gourou) qui désignait une ville fortifiée et qui s’observe encore en coréen contemporain par le mot 고을 (koeul) de même sens ; tandis que (高 | 고 | ko) proviendrait de l’ancienne prononciation de 크다 (keuda) signifiant « grand ».
Nous comprendrons ainsi « grande | haute ville fortifiée », ou bien une francisation en serait « Hauteville » ou encore « Grandcastel ».
Confédération de Gaya (伽倻聯盟 | 가야연맹) : ainsi qu‘au moins sept appellations différentes, semblerait signifier, selon les maintes désignations chinoises, japonaises et descriptions coréennes, le « pays à la couronne | mitre (pointue) », ou encore le « pays du fer » selon les Japonais de Wa, ce qui semblerait fort acceptable, au vu de l’explication en chronique annexe en fin de récit.
Le sinogramme phonétique 伽 (가 | ga) désignerait la couronne qui se dit 관 (冠 | gwan) à notre époque et 耶 (야 | ya) serait une dérivation phonétique d’antan pour (나(라) | nara) abrégé une nouvelle fois en une seule syllabe, car ce mot signifiant « pays » semblait partagé dans la péninsule par une seule syllabe en « na » ou « ra ».
Ces diverses appellations expliqueraient l’étrangeté des noms de ces quatre puissances en japonais : 百濟 (くだら | kudara) pour Baekje ; 任那 (みなま | minana) pour Gaya ; 新羅 (しらぎ | shiragi) pour Shilla et 高句麗 (こうくり | kôkuri) pour Koguryeo tandis que le Japon semble toujours avoir appelé la Chine 中国 (ちゅうごく | chûgoku) comme elle se dénomme elle-même.
Ces quatre puissances en constantes luttes intestines et frictions externes, sans oublier leurs diverses manigances avec la Chine, ébauchèrent les contours de la péninsule coréenne actuelle, mais également ceux de la langue coréenne ancienne qui exerça grand pouvoir sur le japonais ancien, né du proto-coréen-japonais parlé par les hommes de Mumun-Yayoï.
Notons également, en parlant de la transmission des sinogrammes de la Chine vers le Japon via la péninsule coréenne qui arrive officiellement quelques temps plus tard, qu’un trésor national japonais appelé le « sceau d’or (金印) », un sceau doré gravé de cinq sinogrammes en style sigillaire, du style « petit sceau » typique de l’époque des Hans, témoignerait de l’exportation de cette forme d’écriture depuis la Chine, ou du moins de sa (re)connaissance par les Japonais anciens.
Cela semblerait corroboré par le « Livre des Hans postérieurs (後漢書) » écrit au Ve siècle de notre ère :
[…] 建武中元二年,倭奴國奉貢朝賀,使人自稱大夫,倭國之極南界也。光武賜以印綬。[…]
[…] En l’an 2 de l’Empereur Jian Wuzhong (57 de notre ère), un envoyé de Na du pays des Wa vint à la cour, se présentant sous l’appellation de « taifu | dafu » ; ce pays [de Na] se trouve dans l’extrême sud du pays des Wa. L’Empereur Guangwu lui fit cadeau d’un sceau attaché d’une corde en soie. […]
Au soir du Néolithique et début de l’Antiquité, les trois Royaumes et la confédération de Gaya se profilaient ; cependant que le Japon des Wa se transformait progressivement, influencé par la Chine et la péninsule coréenne. Nous entrons maintenant dans l’ère du coréen et du japonais ancien.
Le proto-coréen-japonais transmis par les péninsulaires coréens avait alors presque entièrement assimilé la langue de Jômon, contournant ainsi les traits du japonais ancien.
Entre temps, la langue coréenne dessinait davantage ses contours pré-médiévaux sur la péninsule, au sein des trois Royaumes.
(https://commons.wikimedia.org/wiki/File:EN-WarringStatesAll260BCE.jpg)
(Figure 2) Cloche Dôtaku (Musée Guimet)
(https://www.photo.rmn.fr/archive/93-003031-2C6NU0HM2YPF.html)
(Figure 3) Trois royaumes de la péninsule coréenne
(https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/archive/0/08/20140617104555!History_of_Korea-Three_Kingdoms_Period-375_CE.gif)
Carnet de vocabulaire du japonais et coréen anciens à nos temps
Métal
Le vocable « métal » dérive du proto-japonais-coréen kanai, au japonais ancien kane, puis japonais médiéval kane, au japonais actuel kane (鐘) ou kane (金) signifiant respectivement « cloche » et « métal ; argent ». On pensera ainsi au métal employé pour fondre les cloches.
En coréen, ce mot a muté autrement du proto-japonais-coréen kanai, en coréen médiéval kanai, au coréen actuel kawi (가위) signifiant « ciseaux ».
On observera ici que le métal demeure dans les noms d’objets japonais et coréens, mais que son sens s’est parfois fort dévoyé.
Parlons également de l’ancien vocable de Goguryeo 乃勿 (naymur) qui signifiait autrefois « métal », lui-même très certainement dérivé du chinois archaïque, mais qui a donné 납 (nap) en coréen et 鉛 (なまり| namari) en japonais signifiant tous deux « plomb », un métal utilisé depuis le Néolithique (-7000 à -5000 ans).
Aiguille
Provient pour les deux langues du proto-coréen-japonai paryeol, au japonais ancien pari, et coréen médiéval panol, vers le coréen actuel banul (바늘), et japonais actuel hari (針). Ce vocable ancestral semble faire tout d’abord référence aux techniques de tissage du chanvre.
Chanvre
Nous vient du proto-coréen-japonai asam, au japonais ancien asa, et coréen médiéval sam, au japonais actuel asa (麻), et coréen actuel sam (삼).
Cette plante ayant pour origine l’Asie centrale, on en devinera la lente transition de cette partie du monde jusqu’au Japon via la péninsule coréenne, et probablement la Chine.
Pot, four
A dérivé du proto-coréen-japonais kama, au coréen et japonais médiéval kama, vers le japonais actuel kama (釜), et le coréen actuel kamasot (가마솥).
On observera ici que le coréen a rajouté le mot sot (솥) signifiant « pot en terre cuite », comme pour coréaniser à nouveau ce mot, un réflexe que l’on observe souvent en coréen moderne et contemporain.
Kaki, plaquemine
Nous arrive du proto-coréen-japonais kam, vers le japonais actuel kaki (柿), et le coréen actuel kam (감).
Le plaqueminier étant un arbre chinois, on devinera un emprunt japonisé du mot, sûrement via le coréen et le sinogramme 甘 (sucré) utilisé à la coréenne et se prononçant aussi kam (감).
Du japonais et coréen anciens et de leurs entrelacs
De « l’Antiquité » au Moyen Âge classique
Période abordée : du Ier siècle au VIIIe siècle
Aux aurores de leur règne, les quatre puissances coréennes des Trois Royaumes ne semblaient pas encore posséder d’écriture qui leur était propre, et devaient donc faire usage des sinogrammes transmis par les Chinois des Hans, voire même les Shang ou les Zhou, afin d’écrire leur langue. Or la langue coréenne, qui était principalement véhiculée à l’oral depuis le Néolithique, ne s’apparentait qu’en peu de points à la chinoise, qui fonctionne généralement par syllabes, et ne s’adapta de ce fait guère aux sinogrammes.
Les péninsulaires coréens recoururent alors à une transcription phonétique appelée Idu (이두 | 吏讀), ou « lecture (讀) des fonctionnaires (吏) », qui permettait d’utiliser les sinogrammes, le plus souvent pour leur valeur phonétique, et faisait ainsi abstraction du sens premier. Ce fut très certainement la gent de Goguryeo, puis de Baekje, qui utilisa la première cette transcription phonétique, au vu de sa proximité avec la Chine et les commanderies Hans puis qui le transmit à Shilla, lequel développa et propagea ce système alors qu’il gagnait en influence dans la péninsule.
Les hyanggas (향가 | 郷歌), ou « chansons des contrées », les plus anciennes formes de littérature de la péninsule, provenaient pour la plupart du royaume de Shilla (VIe au VIIe siècle), et perdurèrent jusqu’à l’époque Goryeo (918 à 1392), mais utilisèrent, eux, une méthode de transcription phonétique similaire s’appelant « hyangchal (향찰) ».
Malheureusement, la péninsule coréenne ayant été agitée par maintes guerres et invasions, et s’étant ainsi vue fort souvent fragmentée en plusieurs royaumes qui se coudoyaient rudement, nous avons seulement hérité de 25 hyanggas — 14 du « samgukyusa (« Legs des trois Royaumes ») », et 11 du « kyunyeojeon (« chroniques du moine Kyunyeo ») » —, parmi les très nombreux probablement rédigés tout le long des quelques dix siècles du coréen ancien.
Chaque hyangga utilisait le système phonétique de sinogramme coréanisé du hyangchal pour retranscrire parfois la grammaire et la langue coréenne, parfois le sens d’un mot, et cela le plus fidèlement que les sinogrammes le permettaient, ce qui ne semblait guère aisé. Bon nombre de ces poèmes permirent la reconstitution de certains mots datant du coréen ancien de Shilla.
Quant aux fragments de la langue de Goguryeo, elle nous provient du Samgusaki, ou « Chroniques des Trois Royaumes (삼국사기 | 三國史記) », le premier livre d’histoire de la péninsule qui fut compilé aussi tardivement qu’en 1135 de notre ère.
Son auteur, Kim Bushik, se basait sur des documents coréens et chinois disparus ou dont ne nous sont seulement parvenues des copies, pour aborder longuement l’histoire des Trois Royaumes. On y cite en effet des toponymes anciens desquels on a pu reconstruire quelques mots de la langue de Goguryeo. Cet ouvrage est par ailleurs à l’origine du nom des trois Royaumes, qui semble faire totale abstraction de l’importante confédération de Gaya.
Nous retrouverons, à titre d’exemple, le mot désignant un « souverain » qui semblait se dire 개 (kae) selon la transcription phonétique du sinogramme 皆 (tous) et la « vallée » qui se prononçait approximativement 탄 (tan) ou 단 (dan) selon le sinogramme 旦 (lever du jour). Certains linguistes et historiens assignent, avec grand discernement, des mots de Goguryeo à des mots japonais qui nous sont parvenus, car cette langue serait la plus proche des Coréens de Mumun qui parlaient le proto-coréen-japonais. (cf. carnet de vocabulaire ci-dessous)
Les langues de Baekje et de Gaya, elles, nous sont presque inconnues, mises à part quelques bribes provenant de stèles, comme celles de Gwanggaeto (414 de notre ère), ou de Jeomje (85 de notre ère ?) située en Corée du Nord. Leurs lectures et interprétations demeurent en outre très controversées dues aux sinogrammes manquant sur les deux monuments.
Les puissants de Baekje semblaient avoir adopté la langue de Goguryeo ou des tribus de ces terres nordiques pour des raisons de prestige, ce dont témoigne le « livre des Liang (梁書) » (636) et le « Livre des dynasties Sud (南史) » (659) en parlant du royaume de Baekje :
[…] 今言語服章略與高驪同 […]
[…] Présentement leur langue et leurs habits sont les mêmes que ceux de Go(gu)ryeo. […]
Pendant que le peuple de Baekje parlait la langue vernaculaire d’antan, ce dont nulle archive ne peut plus hélas témoigner.
Dans l’un des seuls livres d’histoire de la péninsule coréenne qui nous sont parvenus, les « Chroniques des Trois Royaumes (삼국사기 | 三國史記) » (1145) précédemment citées, on mentionne comme sources, les livres coréens suivants, qui n’existent désormais plus à cause de nombreuses invasions et conflits armés qui les auront décimés :
« Archives anciennes des mers de l’Est (해동고기 | 海東古記) » ;
« Archives anciennes (고기 | 古記) » ;
« Archives anciennes de commanderies chinoises (삼한고기 | 三韓古記) » ;
« Archives anciennes de notre pays (본국고기 | 本國古記) » ;
« Archives anciennes de Shilla (신라고기 | 新羅古記) »
Qui sait quels trésors inestimables renfermaient ces précieuses archives sur lesquelles se basa Kim Pushik, pour rédiger ses chroniques…
Quant au Japon et son développement linguistique, il faudra faire seconde mention — hélas la seule et unique détaillée — des premières archives chinoises des « Chroniques des Trois Royaumes (三國志) », même section des « Chroniques des Barbares de l’Est (東夷傳) » :
[…] 倭人在帶方東南大海之中,依山島爲國邑。舊百餘國,漢時有朝見者,今使譯所通三十國。從郡至倭,循海岸水行,歷韓國,乍南乍東,到其北岸狗邪韓國,七千餘里。始度一海,千餘里至對馬國。其大官曰卑狗,副曰卑奴母離。[…]
[…] Les gens de Wa (倭) (1) se trouvent dans la grande mer bordant le sud-est des terres de l’Est (2) et leur pays se tient sur une île montagneuse. Autrefois le pays des Wa était composé de plus de cent petits pays, et la cour des Hans y envoya un émissaire ; mais à présent seuls trente pays permettent le commerce. Pour parvenir de nos terres au pays des Wa, il faut avancer sur les eaux en suivant le rivage, passer les contrées de Corée, parfois virer au sud puis à l’est, pour parvenir sur le rivage nord de la confédération de Gaya (3), et il nous restera encore près de 7000 lis (3500 km). En franchissant à nouveau les eaux et parcourant près de 1000 lis (500 km), on parvient au pays de Tsushima (4). Son régent s’appelle Hiku et la sous-régente se nomme Hinamori. […]
(1) Ancienne appellation phonétique péjorative des Japonais, signifiant « nain » ou « petit », très probablement due à la courte taille des hommes de Jômon.
(2) Région près de Pyeongyang en Corée du Nord.
(3) Notons l’intéressante mention chinoise de cette contrée coréenne.
(4) Première mention de cette île japonaise.
De cette petite chronique chinoise parfois hasardeuse vis-à-vis des chiffres, nous observons les premières mentions de mots japonais transcrits en sinogrammes phonétiques, mais aussi la position stratégique de la confédération de Gaya qui était la plus proche du Japon ancien, soit du pays des Wa. La suite de cette chronique abordera certaines coutumes des Wa qui se maintiennent depuis le Néolithique chez les Aïnus, comme les tatouages. Cette langue des Wa semblait être uneforme intermédiaire de la langue japonaise, se situant entre le proto-coréen-japonais et le japonais ancien ; car c’est dans les cinq premiers siècles de notre ère que se séparent le proto-coréen-japonais et le japonais d’Okinawa et de Ryûkyû, qui gardent toujours certains réflexes linguistiques anciens. Depuis la dynastie des Hans jusqu’aux dynasties Nord et Sud chinoises le Japon était appelé « pays des Wa », soit du IIe siècle avant notre ère jusqu’au VIe de notre ère. Nous supposerons ainsi que le pays des Wa s’est formé entre 400 avant notre ère jusqu’à environ le premier siècle de notre ère, au vu de la propagation de l’agriculture et de la connaissance du fer datant d’environ 400 avant notre ère. Ce fer permit le forgeage des premières armes, donc des premières dissensions et divergences terriennes, soit probablement les « cent pays » que mentionnent les archives, ce qui expliquerait une progressive centralisation du pouvoir et la nécessité d’un régent ou d’une régente, comme Himiko ou encore Hinamori et Hiku.
(Un article sera entièrement consacré au pays des Wa pour en démêler le mystère.)
Quant aux langues de Shilla et Baekje, la même chronique chinoise nous indique uniquement que dans la péninsule coréenne il existait autrefois maints petits États, dont les langues se ressemblaient mais dont les mœurs étaient parfois différentes. Cela correspondrait aux diverses tribus précédemment mentionnées.
Citons ainsi ce court passage sur le royaume de Goguryeo, extrait des « Chroniques des trois Royaumes (三國志) », section « Chroniques des Barbares de l’est (東夷傳) » qui dépeignent ces barbares non-Hans :
[…] 東夷舊語以爲夫餘別種,言語諸事,多與夫餘同,其性氣衣服有異。[…]
[…] On pensera que les barbares de l’est (1) avaient autrefois une langue différente de Buyeo (2), mais leur langue et maintes choses ressemblent fortement à Buyeo, tandis que leurs tempérament et vêtements diffèrent. […]
(1) Goguryeo
(2) Petite tribu du nord-est de la péninsule
Tandis que les premiers royaumes de la péninsule coréenne se formaient progressivement et partageaient très probablement des langues apparentées, le Japon se sédentarisait et son pouvoir s’unifiait, favorisé notamment par l’agriculture, souvent symbole de puissance dans l’histoire de l’humanité.
L’archipel se calqua fortement sur les mœurs coréennes, notamment les rites funéraires des souverains coréens dont les rois, imitant leurs pairs chinois dans leur grandeur, se faisaient construire d’immenses tertres funéraires, lesquels nécessitaient une main d’œuvre considérable au vu de leur taille. (Certains tertres mesurant près de 500 mètres de long.)
Cette époque des prémices du pouvoir japonais ancien s’appelle Kofun (古墳) (300 à 552) : 古 (ancien) et 墳 (tertre funéraire).
Vers le IVe et le Ve siècles, le Japon se dota enfin d’une écriture mais qui ne lui était pas propre, car ce sont les sinogrammes qui lui parvinrent directement, et se révélèrent encore moins adaptés pour écrire la langue japonaise que la coréenne.
Cette transmission, ou du moins (re)connaissance de l’écriture chinoise, semble attestée par une ancienne épée offerte par le roi de Baekje au roi de Yamato — le nom du pouvoir à l’époque — vers le IVe ou Ve siècle.
Cette ancienne épée se nomme shichishitô (七支刀), et comporte en son devant les fragments d’inscriptions (reconstruits) suivants :
泰[和]四年[五]月十六日丙午正陽造百練[□]七支刀[出]辟百兵供供侯王[永年大吉祥]
En l’an quatre de Tai[he] (369 de notre ère) en l’après-midi brûlante du 16 [mai], du […(nom d’un métal)] cent fois frappé permit de créer la lame de Shichishitô ; elle permettra d’éviter cent batailles une fois sortie du fourreau et siéra sa Majesté dans la grande éternité et les bons augures qui lui sont à venir
Au dos, nous trouvons :
先世[以]来未有此刀百済[王]世[子]奇生聖音(ou晋)故爲倭王旨造[傳示後]世
Depuis [le] passé, il n’était telle lame en le royaume de Baekje ; le prince Ki de Baekje naîtra bientôt ; aussi le roi de Baekje, ayant maintes dettes morales auprès des saints Jin de l’Est — qui lui présentèrent premièrement ladite lame —, fit-il forger lame identique pour l’offrir à sa Majesté des Wa, souhaitant qu’elle la transmît aux héritiers futurs.
Des scribes de Baekje (IVe siècle) puis des moines bouddhistes coréens (Ve siècle) transmirent ensuite les sinogrammes au Japon en même temps que le bouddhisme, qui fut probablement transmis de l’Inde à la Chine puis à la péninsule coréenne avant de pénétrer au Japon, mais aussi le confucianisme au Ve siècle et qui fut accepté à la cour au VIIe siècle. Cette doctrine chinoise alluma une flamme patriarcale auprès des empereurs japonais car depuis cette introduction à la cour on n’observa guère de femme au pouvoir, tandis que celles-ci étaient autrefois plus égales des hommes et puissantes, si nous pensons à Himiko ou Hinamori. Ces diverses transmissions marquèrent ainsi les débuts de l’écriture japonaise.
Le Kojiki (古事記), le plus vieil écrit japonais écrit en sinogrammes phonétiques en 712 de notre ère, en fait mention, dans un passage qui serait supposément un propos de l’empereur Ôjin (ayant probablement régné au IVe siècle) :
[…] 又科賜百濟國「若有賢人者、貢上。」故受命以貢上人・名和邇吉師、卽論語十巻・千字文一巻幷十一巻、付是人卽貢進。[…]
[…] L’Empereur s’adressant à nouveau à Baekje : « S’il est en votre pays quelque personne avisée, qu’elle se présente. » Baekje envoya un érudit du nom de Wani(kishi) qui présenta à l’Empereur dix rouleaux des « Entretiens » de Confucius et un rouleau pour pratiquer les sinogrammes (« Livre des mille sinogrammes »). […]
Nous ferons abstraction des dates et de la probable inexistence de l’empereur japonais dans ce passage qui semble indiquer que des scribes coréens se rendirent au Japon pour relayer la culture chinoise et prêcher le bouddhisme. Nous pouvons également percevoir que les royaumes de Baekje et le Japon de Yamato étaient liés par une relation sinon amicale, politiquement correcte, surtout durant la période Asuka (538 à 710), ce qui expliquerait la probable influence des mots de Baekje sur le japonais ancien. Il ne faudrait toutefois pas négliger le fait que ces mots de Baekje, langage des puissants du pays, semblaient avant cela avoir bourgeonné à partir des mots de Goguryeo, dont la langue semblait la plus prestigieuse.
Baekje conclut également une alliance avec le Japon de Yamato, désirant assurer ses ressources en fer car elles permettaient aux deux États de s’armer et s’empuissanter, notamment contre le royaume de Goguryeo qui convoitait entre autres lesdites ressources. Il sera en outre intéressant d’observer, que dans le Nihon Shoki (日本書紀) (720), l’un des premiers récits historiques de l’archipel dont l’histoire est parfois à interpréter avec beaucoup de recul, il est indiqué que certains fonctionnaires importants semblaient comprendre le coréen de Baekje, mais point celui de Shilla. Les langues se ressemblaient probablement en quelques points, mais demeuraient en quelque sorte dialectales l’une, l’autre, comme le coréen de Séoul et celui de Busan à l’heure actuelle.
À la chute de Baekje en 660, de nombreux artisans (forgerons, apiculteurs), artistes, constructeurs (charpentes des temples en bois), intellectuels (moines bouddhistes) et autres hommes de talent migrèrent vers leur Japon ami, auquel ils apportèrent leur savoir-faire.
Le Japon ayant toujours hérité de sa connaissance de la métallurgie par la péninsule coréenne, on pourrait deviner différents emprunts de la langue coréenne à la japonaise concernant ce domaine, notamment via les différentes vagues de populations venant de Baekje.
Sur la péninsule coréenne, la langue ancienne se dirigeait peu à peu vers sa forme médiévale, qui incluait des mots des Trois Royaumes — sans oublier Gaya —, mais dont il sera présentement ardu de retracer l’origine, pour cause d’un cruel manque de ressources écrites de ces époques, au grand dam des historiens, des linguistes et de notre auteur.
Blâmons également le royaume de Shilla, qui émergera vainqueur, grâce aux Chinois des Tang, de près de six siècles de luttes et conflits et unifia la péninsule coréenne pour la première fois, tout en remplaçant de nombreux mots coréens natifs par des noms sino-coréens.
En 757, le roi Kyeongdeok de Shilla fit ainsi remplacer les titres coréens natifs de imgum (임금), ou un autre mot perdu de Shilla, par les titres chinois de wang (왕 | 王), signifiant tous les deux « roi ». Une vaste unification linguistique et politique s’opéra par la suite à travers la péninsule coréenne lorsque le royaume de Shilla unifia les contrées coréennes et nombre de toponymes coréens natifs furent sinisés, d’où l’oubli total à notre époque de leur appellation ancienne. Les différents dialectes du coréen à notre époque sont en outre très probablement des restes langues des tribus ayant précédé les Trois Royaumes, et qu’il fut probablement impossible, techniquement et humainement parlant, pour Shilla d’assujettir à sa langue et culture. Les campagnes militaires de Shilla contre Goguryeo et Baekje, auront sûrement détruit de nombreux documents, mais aussi la confédération de Gaya en 562.
Les ressources écrites en sinogrammes et en Idu encore existantes à propos de ces trois Royaumes sont presque impossibles à déchiffrer car nous ne connaissons plus les lieux ni les personnes mentionnés.
En 712 les Japonais de Yamato rédigèrent le Kojiki (古事記), nul doute très fortement influencés par les scribes de Baekje et autres moines bouddhistes qui retranscrivaient le coréen et les soutras à l’aide des sinogrammes. Il s’agit du plus vieil écrit mythologique de l’archipel, que l’on employa longtemps comme cahier « d’histoire », et qui utilisait les sinogrammes pour retranscrire la langue de manière phonétique et japonisée, ce qui ne manquera pas de nous rappeler l’usage coréanisé des sinogrammes : le Idu. Peu après ce Kojiki, suivi le Nihon shoki (日本書紀) (721) précédemment mentionné.
Vers les débuts de l’époque de Heian (794 à 1185) également, les Japonais inventèrent le manyôgana, un système phonétique permettant d’écrire la langue japonaise à l’aide de certains sinogrammes, et dont la simplification en style semi-cursif donnera enfin naissance à la première forme de l’écriture japonaise : les kanas, un système incluant les katakanas et les hiraganas. Les Japonais précédèrent ici les Coréens de quelque 500 ans dans la création d’une écriture native.
Les katakanas étaient primairement utilisés par les moines bouddhistes comme aide phonétique des textes classiques bouddhistes, et les hiraganas étaient populaires auprès des femmes de la cour, pour leur forme simple et jolie.
Les Japonais du VIIe au VIIIe siècles usaient également de lamelles en bois appelées mokkan (木簡), ou littéralement « missives (簡) de bois (木) », elles-aussi sans doute influencées par les Chinois et les « Annales de Bambou » rédigées sur des lamelles de bambou vers le VIe siècle avant notre ère.
À l’aide de ces missives, on pouvait transmettre des messages, mais d’une manière très japonisée, ce qui nous permet de supposer que l’émetteur était un Japonais fort bien versé dans les sinogrammes, ou encore un émissaire chinois ou coréen ayant séjourné longtemps au Japon.
Voici un bref exemple de mokkan dont seul un morceau est déchiffrable (cf. photo ci-dessous) :
[…] 常食菜甚悪 […]
[…] La cuisine de l’office est fortement déplaisante […]
Autrefois, dans la capitale de Nara (Ve au VIIe siècles), on servait chaque jour un déjeuner et un dîner aux fonctionnaires travaillant dans les offices japonais influencés par la bureaucratie chinoise. Ces repas frugaux se composaient de riz, sel, aubergine, sauce soja et azuki. Il semblerait que cela ne plaisait pas à tous les fonctionnaires qui le faisaient savoir par leurs missives en bois…
À la fin des VII-VIIIe siècles, le japonais ancien possédait son écriture et le pouvoir de ses contrées était fermement sis au sein de ses frontières ; le coréen ancien, influencé par la langue de Shilla puis celle du royaume de Goryeo (qui va naître), s’était lui aussi fixé peu à peu dans les contrées coréennes.
On observera alors une réelle rupture entre ces deux langues.
(https://www.sakai-tcb.or.jp/spot/detail/126)
(Figure 2) Mokkan (木簡), 木簡庫 (Mokkanko (Wooden tablet database)
(https://mokkanko.nabunken.go.jp/ja/6ABREE49000162)
(Figure 3) Épée Shichishitô (七支刀) Tokyo National Museum (東京国立博物館)
(https://www.tnm.jp/modules/rblog/index.php/1/2020/03/06/%E6%97%A5%E6%9C%AC%E6%9B%B8%E7%B4%80%E3%81%A8%E4%B8%83%E6%94%AF%E5%88%80/)
Carnet de vocabulaire du coréen et japonais anciens à nos temps
Souverain ou roi
임금 (imgum) et peut-être 君 (きみ | kimi)
La première occurrence du mot « roi » semble remonter au mythique royaume de Gojoseon — expliqué en chronique annexe en fin de récit — avec le mot phonétique 王儉 (왕검 | Wanggeom), dont le premier sinogramme donne le sens de « roi » et le deuxième la prononciation.
De ce mot phonétiquement reconstruit, descendraient toutes les manières, aussi reconstruites, de prononcer « roi » comme celles de Shilla (간 | gan) , Gaya (간 | gan), Puyeo (가 | ga) puis Goguryeo (가이 | gai) et enfin Baekje (가 | ga). Ce n’est ici nullement le fruit du hasard si la totalité des mots des trois Royaumes pour désigner un suzerain diffère légèrement mais commence toute par la lettre « k | g».
L’occurrence la plus sûre de ce mot remonte au royaume de Shilla (57 avant à 918 de notre ère), où l’appellation des rois était transcrite en sinogrammes phonétiques 尼師今 (이사금 | isagum), ensuite, selon une légende à laquelle nous n’accorderons que peu de crédit, le mot se transforma en 잇금 (itgum) puis en 님금 (nimgum) vers l’époque Goryeo (918 à 1329) où il perdit son ㄴ (n), pour enfin devenir 임금 (imgum) vers notre époque. Ce dernier mot demeure la manière coréenne pure pour exprimer « roi ; souverain », mais que l’on remplace souvent par 왕 (王 | wang), venant, lui, du chinois classique, sans nul doute plus prestigieux.
De ce mot coréen a dérivé le suffixe 님 (nim) qui s’emploie en coréen actuel pour désigner une personne de manière respectueuse, et qui est la première partie du mot « souverain (임금 | imgum) », ce qui lui confère une logique tout à fait coréenne.
Cette perte du ㄴ (n) s’est également opérée pour le mot 이 (i) (dent) qui se disait autrefois 니 (ni).
Certains linguistes et historiens lient également le mot japonais 君 (きみ | kimi) (souverain) à ce mot d’origine du royaume de Shilla, ce qui semble peu probable au vu des fâcheuses relations shilla-nipponnes. Il faudrait plutôt le lier au royaume de Goguryeo via la royauté de Baekje, vraisemblablement proche de celle des Wa, qui avait adopté une langue divergeant de celle du peuple et calquée sur sa voisine plus prestigieuse de Goguryeo.
Notons également que le mot 님금 (nimgum), devenu 임금 (imgum), faisait aussi autrefois référence à la pomme sauvage de Chine, dont les chroniques annexes sont expliquées en fin de récit.
Vallée
Le mot japonais 谷 (たに | tani) serait un lointain emprunt du royaume de Goguryeo où il semblait se prononcer 탄 (呑 | tan), 단 (旦 | dan), un mot désormais perdu en ce sens mais qui pourrait avoir donné 탕 (tang) ou 텅 (teong) en coréen contemporain, et signifiant tous les deux « vide ». La vallée étant vide en son creux, on comprendrait ce sens fortement dérivé, comme il arrive parfois en linguistique.
Séisme (hommage à un mot ancien)
En l’an 599 de notre ère, le Kojiki témoigne d’un séisme :
[…] 地動。舎屋悉破。則令四方、俾祭地震神。[…]
[…] La terre a bougé. Chaumines et toitures ont été brisées. Hâtons-nous en tout endroit d’encenser le dieu des Séismes. […]
Le mot « séisme » a toujours été écrit 地震a vec les sinogrammes 地 (terre) et 震 (trembler) depuis les archives chinoises des « Annales de Bambou », mais dans ce passage, la prononciation de « séisme » est purement japonaise, et se dit なゐ (nawi) où nous observons également l’usage de l’ancien kana ゐ (wi). Ce mot ancien provient du mot 鳴り (nari) qui signifie « grondement » et ayant légué à notre époque le mot 地鳴り (jinari), un mot purement japonais pour exprimer un « séisme », mais moins fréquent, malgré son homonymie à 地震 (じしん | jishin) le mot courant à notre époque.
Quel dommage qu’en coréen les mots 땅불 (dangbul) (dialecte) et 땅흔들림 (dang hundullim) (Corée du Nord, mais rare) n’aient pas été adoptés à la place de 지진 (jijin), lui aussi issu des sinogrammes chinois.
Fondre ; couler (métal)
Accompagnant les nombreux artisans de Baekje et Gaya qui se réfugièrent au Japon de Yamato après la chute de leur royaume respectif, nous penserons aux nombreux forgerons qui apportèrent leurs savoir-faire en métallurgie.
En coréen, le verbe 짓다 (jitta) s’emploie le plus souvent pour dire « fabriquer, créer », mais dans le double verbe 지어붓다 (jieobutta), il signifie « fondre ; couler » le métal, et a créé le mot japonais 鋳る (いる | iru), de même sens, à partir de la racine « ti » ou « dir ».
Nous observons ainsi que ce mot semble avoir maintenu ce sens très ancien en coréen actuel, mais qu’il faut préciser à notre époque à l’aide du verbe 붓다 (butta) (verser), qui ôte ainsi l’ambiguïté du simple mot 짓다 (jitta), en précisant que l’on verse (coule) le métal fondu dans un moule pour lui donner forme. Ce mot était sans doute premièrement utilisé dans le sens de « fabriquer ; créer », mais les Japonais l’auront compris dans l’unique sens de « fondre ; couler » le métal en l’entendant de la bouche des forgerons de Baekje ou Gaya.
Abeille
Les mots 蜂 (はち | hachi) et 벌 (beol) , signifiant tous les deux « abeille » proviennent de la même racine palyi, qui se trouve appartenir au vocabulaire de Goguryeo, avant d’avoir été adopté par Baekje et de passer vers le Japon. Les premières traces d’apiculture remontent en effet au royaume de Goguryeo, après avoir été véhiculée par la Chine au moins depuis l’époque des Zhou.
Le Nihon Shoki parle en effet de l’an 643 de notre ère et de la première tentative d’apiculture au Japon :
[…] 百濟太子餘豐、以蜜蜂房四枚、放養於三輪山。而終不蕃息。[…]
[…] Sa majesté Pung de Baekje a essayé au Mont Miwa (près de Nara) d’implanter quatre ruches, mais cela s’est soldé par un échec. […]
Nous voyons une nouvelle fois la triade Chine, Corée et Japon entremêler ses langues, cultures et techniques.
Japonais et coréen médiévaux : chemins divergeants et temps instables
Le Moyen Âge classique
période abordée VIIIe – XVIIe siècle
La péninsule coréenne trouva une certaine stabilité lorsque le royaume de Shilla unifia le pays en 668, après maintes guerres ; puis la dynastie de Goryeo (918 à 1392) vainquit celle de Shilla, en maintenant toujours le pays unifié.
Au Japon, le pouvoir de Heian passa à celui de Kamakura (1185 – 1333) puis Muromachi (1333 – 1600), sous l’impulsion des classes guerrières qui, par un coup d’état, renversèrent le pouvoir pour l’installer à Kamakura, sous la forme d’un Bakufu.
Les débuts du Moyen Âge des deux pays où l’on parlait et écrivait la langue classique dans la péninsule coréenne et dans l’archipel japonais marquent clairement un éloignement du japonais des hommes de Yayoï-Mumun, devenus hommes de Yamato, et de celui de Shilla puis Goryeo : les pouvoirs de ces deux pays se maintenaient fermement en place, ainsi que leur langue au sein de leurs frontières respectives. À partir de cette époque médiévale, les sources écrites se multiplient dans les deux pays, nous décrivant plus clairement une histoire socio-linguistique tantôt partagée, tantôt rompue.
Le Japon d’Heian fut fortement influencé par les poésies des Chinois des Tang (618 à 907) puis des Song (960 à 1279) qui atournaient leurs écrits des mots les plus fleuris ; aussi les lettrés de la cour d’Heian semblaient-ils parfois tomber dans une langueur (spleen) digne d’un littérateur français du XVIIIe ou XIXe siècle ou bien s’amignarder d’une préciosité digne des Précieuses de Molière.
L’influence chinoise s’observa également dans les mœurs comme l’appréciation des manifestations colorées et esthétiques de la nature (pruniers puis cerisiers), la saisonnalité ou encore le mono no aware. Cette expression écrite もののあわれ désigne l’évanescence des choses et leur impermanence : dans l’esthétique japonaise, il convient d’apprécier la beauté naturelle de toute chose, soit sa vie, et de déplorer son caractère éphémère, tel que pour les pétales de cerisiers si beaux dont la couleur s’évanouit si vite alors qu’ils ont chu, ou encore les feuilles d’automne qui bientôt perdront leurs couleurs chatoyantes en jonchant la terre.
Chant d’iroha ― いろは歌 (Iroha uta)
Cette chanson de 47 ou 48 kanas japonais (le syllabaire de la langue comportant 51 sons) utilise une fois chaque kana, et parle de l’impermanence. Cette chanson a été écrite vers le début du XIe siècle, à l’époque Heian (794 à 1185), sûrement par un moine bouddhiste, mais cela reste incertain.
(La version française respecte les syllabes japonaises)
い ろ は に ほ へ と ち り ぬ る を わ か よ た れ そ つ ね な ら む う ゐ の お く や ま け ふ こ え て あ さ き ゆ め み し ゑ ひ も せ す | Couleurs au si doux parfum flétriront bientôt Nul en notre monde n’y est éternel Le loin mont de l’inconstant passé-je ce jour De rêves ne me pique ni moins m’enivre |
Au Japon, on ressentit que le pouvoir et la langue formèrent dès lors un tout sacré et inébranlable, notamment par le mot kotodama (言霊), signifiant « âme (霊) des mots (言) », et indiquant qu’une force mystérieuse, à lier à la croyance shintoïste de Jômon, réside en tout mot, comme nous le montre le Manyôshû à nouveau :
[…] 神代より 言ひ伝て来らく そらみつ 大和の国は 皇神の 厳しき国 言霊の 幸はふ国と 語り継ぎ 言ひ継がひけり 今の世の 人もことごと 目の前に 見たり知りたり […]
[…] Depuis des temps immémoriaux, on raconte qu’en le pays de Yamato demeurent de sévères Divinités et Empereurs ; on raconte que ce pays ressent grand heur que ses mots possèdent une certaine force dans leur âme ; tous les gens de notre époque le savent éperdument. […]
C’est réellement vers l’époque d’Heian que s’écrivent les plus grands classiques de la littérature japonaise comme « l’Histoire d’Ise (伊勢物語) » (début du Xe siècle), le « Dit du Genji (源氏物語) » (XIe siècle), puis vers l’époque Kamakura que l’on écrit les « Essais de l’oisiveté (徒然草) » (1330). Cette langue japonaise médiévale différait quelque peu de sa forme ancienne ; mais c’est surtout vers l’époque de Muromachi qu’elle se pare d’allures modernes.
Voici un extrait des « Essais de l’oisiveté », qui semble digne d’une leçon de morale des moralistes des Lumières et plus qu’applicable à notre époque :
能をつかんとする人、「よくせざらんほどは、なまじひに人に知られじ。うちうちよく習ひ得てさし出でたらんこそ、いと心にくからめ」と常に言ふめれど、かく言ふ人、一芸も習ひ得ることなし。いまだ堅固(けんご)かたほなるより、上手の中にまじりて、毀(そし)り笑はるるにも恥ぢず、つれなく過ぎて嗜む人、天性その骨(こつ)なけれども、道になづまず、みだりにせずして年を送れば、堪能(かんのう)の嗜まざるよりは、終(つい)に上手の位にいたり、徳たけ、人に許されて、双(ならび)なき名を得る事なり。
天下のものの上手といへども、始めは不堪(ふかん)の聞えもあり、無下の瑕瑾(かきん)もありき。されども、その人、道の掟正しく、これを重くして放埓(ほうらつ)せざれば、世の博士にて、万人(ばんにん)の師となる事、諸道かはるべからず。
Toute personne qui souhaiterait acquérir un talent ne désirera pas montrer à autrui son ignorance complète : elle aimerait plutôt s’entraîner en secret et se révéler au grand jour en exposant son grand talent. Mais celle-là n’obtiendra de la sorte nul talent.
C’est bien depuis ses débuts qu’elle se doit mêler aux gens de talent dont elle ne se devra embarrasser des railleries mais plutôt les passer outre : quoiqu’elle n’eût aucun talent inné, elle devra accumuler les années sans trébucher ni renoncer dans sa voie ; c’est alors qu’elle obtiendra un nom inégalable, qu’on la reconnaîtra, et se dotera d’une grande vertu, entrant ainsi dans les sphères de la gent de grand talent.
On a beau dire d’une personne qu’elle n’est d’aucun talent, il s’ébruitera au départ sur elle des rumeurs malveillantes, et cette personne sera remplie d’imperfections. Or, cette personne, apprenant de manière soutenue et ne faisant fi de cet apprentissage, pourra devenir guide de tout un chacun : toute voie suit ce parcours immuable.
De retour dans la péninsule coréenne, l’époque de Goryeo (918 à 1392) fut fortement marquée par les classiques chinois (bouddhistes et confucianistes) que l’on étudia abondamment, et qui empêchèrent sûrement la transmission de la langue par tous à l’écrit, en retardant par conséquent l’invention du hangul, l’alphabet coréen natif. Les lettres classiques terrassèrent même les hyangga de Shilla, sûrement considérés comme trop vulgaires pour la dynastie très lettrée de Goryeo et comparés aux textes classiques importés de Chine que l’on encensait.
Seules quelques archives écrites en chinois classique coréanisé et certains textes chinois nous permettent de sonder les profondeurs du coréen médiéval, avant l’invention du hangul en 1443. La langue de Goryeo se débarrassa de certains archaïsmes de la langue ancienne comme le ᄫᅠ(f), un son léger qui devint simplement un ㅇ (yiung dépourvu de son), comme dans le mot 서울 (Séoul).
Les échanges avec le Japon de Heian ne s’interrompirent point et l’on commerça entre autres des denrées ou objets culturels japonais contre d’autres coréens, comme le ginseng coréen ou les sabres japonais.
Les archives des Chinois Song (960 à 1279) compilèrent vers 1101 un ouvrage intitulé « Choses de la forêt des poules (鷄林類事 | jī lín lèi shì) » dont le nom fort étrange faisait référence à la légende de la famille royale de l’ancien royaume de Shilla et à son palais à Gyeongju dans le sud-est de la péninsule, une capitale reprise par la dynastie de Goryeo. Nous y apprenons, dans une version reconstruite de l’époque chinoise Ming (1368 à 1644), près de 350 mots de la dynastie Goryeo, considérés comme dialectaux par les Chinois et retranscrits phonétiquement en leur langue. Pour obtenir un aperçu correct des mots de Goryeo, il faudrait reconstruire la prononciation du chinois de l’époque Song et celle du coréen médiéval.
L’ouvrage se présente comme une liste de vocabulaire basique :
(Toutes les prononciations chinoises suivantes sont contemporaines mais on se doute qu’à l’époque elles reflétaient le plus fidèlement possible la langue de Goryeo.)
[…]
天曰漢㮈
« ciel » se dit « hanna »
(À notre époque on dit 하늘 (hanul) mais à l’époque probablement 하날 (hanal))
日曰姮
« jour » se dit « heng »
(À notre époque on dit 해 (hae))
[…]
雲曰屈林
« nuage » se dit « qulin »
(À notre époque on dit 구름 (kulum) mais à l’époque probablement 쿠럼 (kureom))
風曰孛䌫
« vent » se dit « beilan »
(À notre époque on dit 바람 (baram) mais à l’époque probablement 퍼람 (peoram))
On s’aperçoit que la langue ressemblait sûrement beaucoup à celle que l’on connaît aujourd’hui, tout en présentant quelques reflexes archaïques.
Il sera intéressant d’observer, toujours dans le même ouvrage, que les mots de Goryeo conservent des termes ancestraux tels que :
山曰每
« montagne » se dit « mei »
(Le mot purement coréen pour « montagne » étant 뫼 (me), un vocable du royaume de Shilla provenant de 芼兮 (maoxi) reconstruit 모리 (mori) et non de 산 (山 | san), un mot chinois.)
百曰醖
« cent » se dit « yun »
(Le mot purement coréen pour « cent » étant 온 (on), un mot du royaume de Baekje mais probablement de Goguryeo avant cela, et qui se perdit pour l’emploi du chiffre chinois 백 (百 | baek)). Ce 온 (on) semblait aussi désigner le concept de « tout » et s’observe encore à notre époque dans les mots 온몸 (tout le corps) et 온갖 (tout/tous)).
Remarquons également cet exemple :
萬曰萬
« dix mille » se dit « wan »
(Mais plus 즈믄 (dix mille), en coréen pur, car c’était un mot désuet du royaume de Shilla. Le mot chinois 만 (萬 | man) semblait avoir déjà remplacé le mot coréen natif.)
Nous trouvons même une petite phrase pour dire que l’on boit de l’alcool, un aspect de la culture profondément ancré dans la péninsule :
飲酒曰酥李麻蛇
« boire de l’alcool » se dit « suli mashe »
(À notre époque on dit 술을 마시다 (sul ul mashida))
L’époque Joseon (1392 à 1902) marqua le début de l’écriture coréenne, lorsque le roi Séjong fit installer en son palais en 1420 une annexe d’étude de l’écriture chinoise appelée « Temple des Dignes (집현전 | 集賢殿) ». Elle compta près de vingt lettrés extrêmement versés dans les sinogrammes et les classiques chinois qui, avec ledit souverain, se penchèrent sur l’éducation du peuple.
C’est ainsi qu’en 1443, furent inventés les hanguls, la première forme d’écriture coréenne à proprement parler ; et en 1446, le roi Sejong publia l’ouvrage « Les sons corrects à enseigner au peuple (훈민정음 | 訓民正音) », dont la préface va comme suit :
« Les sons de notre pays diffèrent de ceux de la Chine, et communiquer avec leurs lettres ne fonctionne pas ; or la paysannerie souhaite parler, mais il s’avère qu’elle ne peut exprimer ses sentiments. Cela me semble si misérable que j’ai créé, avec l’aide de mes conseillers, vingt-huit nouvelles lettres qui seront faciles à apprendre par le peuple et donc pratiques pour un usage journalier. »
Nous noterons également qu’en 1448 fut publié par le même institut royal, un livre de sinogrammes (appelés hanjas en coréen) donnant pour la première fois les prononciations de ces sinogrammes en hanguls : les « Sons corrects des pays de l’Est (동국정음 | 東國正韻) ».
Pour tester son alphabet, le roi Séjong fit également publier en 1445-1447 le « Chant du dragon volant au ciel (용비어천가 | 龍飛御天歌) », une anthologie de poésie en dix volumes écrits dans une langue semi-classique, en sinogrammes et hangul et portant aux nues la dynastie régnante.
Il sera intéressant d’observer que ce chant élogieux contient bon nombre d’archaïsmes natifs comme les hanjas 城山 (montagne-château) se lisant 잣뫼 (chat-me), ou 잣 (château) et 뫼 (montagne), deux mots qui furent délaissés au profit d’homologues chinois.
Nous pourrions traduire ce toponyme ancien par « Montfort » ou encore « Mont Castel », de même étymologie médiévale.
Ci-dessous un extrait du « Chant du dragon volant au ciel (용비어천가 | 龍飛御天歌) » en hanguls semi-classiques, hanguls anciens puis la traduction.
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Bon nombre de lettrés conservateurs s’opposèrent alors à ce système nouveau permettant au tout venant d’écrire la langue coréenne et ayant des allures hérétiques, mais il se propaga peu à peu au fil des siècles.
Au grand dam d’historiens, de linguistes, et de notre auteur, le Japon et la péninsule coréenne sont demeurés éloignés une grande partie du Moyen Âge classique, à cause de la menace de l’Empire Mongol (1206 à 1368) qui conquit de vastes territoires de l’Eurasie, tenta de faire tomber le régime coréen, et fort heureusement pour le Japon, ne put pénétrer dans les terres de l’archipel. Il s’avère en effet, qu’en 1274 et 1281, les Mongols s’embarquèrent pour aller conquérir le Japon par l’île de Kyûshû, mais, la période choisie, celle des typhons, et le destin, anéantirent les flottes mongoles qui subirent plusieurs fois le courroux des kamikazes (神風), ou « vents divins », des typhons qui anéantirent leurs effectifs alors qu’ils se repliaient pour la nuit dans leurs embarcations flottant dans la baie d’Hakata, à Kyûshû.
S’il y eût eu quelque échange linguistique ou quelque document bilingue à cette époque, l’Empire mongol l’aura sûrement détruit, après avoir déporté et massacré des Coréens, ou encore rasé maints villages anciens. Il ne faudrait point non plus oublier la révolte chinoise des Turbans rouges qui vint envahir la péninsule en 1360, apportant un fardeau supplémentaire.
Qui plus est, entre le XIIIe et le XVIe siècle, soit entre les périodes Nanbokuchô (1333 – 1392) et Muromachi (1336 – 1573), sévissaient dans les mers de Chine, Corée et Japon, les pirates Wakô (倭寇), de grands contrebandiers et pilleurs d’objets précieux mais aussi de denrées. (cf. chronique annexe en fin de récit).
Après l’effondrement de l’Empire mongol vers le milieu du XIVe siècle, les Chinois des Ming (1368 à 1644) nous viennent en aide pour comprendre les langues japonaise et coréenne du XVe siècle. Remarquons ici à nouveau le rôle intermédiaire et parfois observateur des Chinois au sein des relations coréano-japonaises : vers 1400, un Institut gouvernemental de traduction et d’interprétation, le « Huitong Siyiguan (會同四譯館) » qui s’occupait de près de dix-sept langues, publia un ouvrage reprenant plus de 560 mots coréens et japonais classés par catégories.
Nous retrouverons dans ses entrées presque tous les mots du coréen contemporain, contenant un sinogramme chinois qui donne le sens, et un ou plusieurs sinogrammes chinois indiquant la prononciation coréenne du mot concerné par le premier sinogramme. Nous voyons ensuite un sinogramme donnant la prononciation coréenne du sinogramme chinois auquel il correspond.
Nous avons ainsi : 1) Sens du mot ; 2) prononciation sinisée du mot ; 3) hangul médiéval du mot (inexistant dans l’édition chinoise et ajouté par l’auteur) ; 4) prononciation coréanisée du sinogramme et vieux hanguls (inexistant alors et ajouté par un auteur ultérieur)
天 (ciel) (se prononce) 哈嫩二 (hanener) (et s’écrira) 하늘 (hanul) : correspond à la prononciation 忝 (텬) (coréen médiéval) et 천 (coréen contemporain)
(En coréen contemporain : 하늘 (hanul))
月 (lune) (se prononce) 得二 (deer) (et s’écrira) 달 (dal) : correspond à la prononciation 臥 (월) (coréen médiéval) et 월 (coréen contemporain)
(En coréen contemporain : 달 (dal))
雲 (nuage) (se prononce) 故論 (gulun) (et s’écrira) 구룸 (kurum) : correspond à la prononciation 穏 (운) coréen médiéval et contemporain
(En coréen contemporain : 구름 (kuleum) mais qui se prononce 구룸 (kurum), comme à l’époque Joseon ; c’est donc un réflexe archaïque.)
雷 (tonnerre) (se prononce) 別剌 (biela) (et s’écrira) 벼락 (byeorak) : correspond à la prononciation 屢 뢰(룅) (coréen médiéval et contemporain)
(En coréen contemporain : 벼락 (byeorak))
雪 (neige) (se prononce) 嫩 (nen) (et s’écrira) 눈 (nun) : correspond à la prononciation 捨 (셜) (coréen médiéval) et 설 (coréen contemporain)
(En coréen contemporain : 눈 (nun))
Ce recueil magistral témoigne à nouveau de mots qui ont à présent disparu au profit de mots sino-coréens :
城 (château) (se prononce) 雜思 (zasi) (et s’écrira) 잣 (tchat) : correspond à la prononciation 升 (승) (coréen médiéval) et 성 (coréen contemporain).
Le vocable 잣 (tchat) est un mot désuet natif du royaume de Shilla qui s’aperçoit dans des toponymes de lieux fortifiés et dans le hyangga « Chant de la comète (혜성가 | 彗星歌) » (VIe siècle), mais que le mot chinois 성 ( seong| 城) a remplacé. Notons ici que cet ancien mot coréen pour « château » est corroboré par des occurrences dans le Nihon shoki (日本書紀) (721), toutes désignant des toponymes coréens, supposément fortifiés.
Et à nouveau la montagne 뫼 (me) mot que nous avons aperçu plus haut :
山 (montagne) (se prononce) 磨一 (moyi) (et s’écrira) 묗 (met) : correspond à la prononciation 山 (산) en coréen médiéval et contemporain.
Le même institut nous fournit pareils exemples à propos de la langue japonaise :
1) Sens du mot ; 2) prononciation sinisée du mot ; 3) kana du mot japonais (non indiqué alors)
天 (ciel) (se prononce) 唆喇 (suola) (et s’écrit) 空 (そら | sora)
(En japonais contemporain : 空 (そら | sora))
日 (jour ; midi) (se prononce) 非禄 (feilu) (et s’écrira) 昼 (ひる | hiru)
(En japonais contemporain : 昼 (ひる | hiru), mais uniquement pour le « midi ». Nous remarquerons le choix intéressant des Chinois pour le sinogramme 日 (jour) pour exprimer « midi » en japonais. Le sens de « midi », semble s’être quelque peu réduit à notre époque.)
月 (lune) (se prononce) 読急 (duji) (et s’écrit) 月 (つき | tsuki)
(En japonais contemporain : 月 (つき | tsuki))
星 (étoile) (se prononce) 波世 (boshi) (et s’écrit) 星 (ほし | hoshi)
(En japonais contemporain : 星 (ほし | hoshi))
風 (vent) (se prononce) 刊節 (ganjie) (et s’écrit) 風 (かぜ | kaze)
(En japonais contemporain : 風 (かぜ | kaze))
En suite des invasions mongoles, des révolutions chinoises et une fois la menace des pirates levée, une sinistre fracture s’opéra au cœur du coréen médiéval lorsque le général de guerre japonais (Shôgun) Toyotomi Hideyoshi, qui mourra prématurément en 1598, désira conquérir la péninsule coréenne en 1592. Fort heureusement la Chine des Ming interviendra pour sauver les Coréens de l’invasion japonaise. Le général déclencha la guerre d’Imjin, qui s’étendit de l’an 1592 à l’an 1598, en pillant tout d’abord la capitale impériale de Gyeongju dans le sud de la péninsule et détruisit ainsi sûrement maintes archives inestimables qu’elle recelait. S’ensuivirent plusieurs invasions traumatisantes au cours desquelles de nombreux Coréens de Joseon furent persécutés. Pis encore : plusieurs milliers de péninsulaires captifs furent forcés de migrer vers l’île de Kyûshû pour fabriquer, entre autres, de la porcelaine pour le Shôgun. Sans déplorer les nombreux artisans et médecins qui contribuèrent également, bon gré mal gré, aux progrès technologiques du Japon de l’époque.
Nous pouvons blâmer ce général de guerre japonais d’avoir anéanti bon nombre de reliques et documents coréens du passé car les batailles et invasions se déroulèrent principalement sur le sol coréen.
L’écriture coréenne, qu’on ne coucha alors guère sur le papier durant près de 20 ans, perdit probablement l’usage de son ancestral « z » graphié « ㅿ» et appelé 반치음 (banjieum), ce qui ouvrit une terrible fracture entre le coréen semi-classique de l’époque Joseon et celui post-guerre d’Imjim.
Il semblerait que ces temps de guerre, indiscutablement traumatisants pour le peuple coréen, lui firent oublier une grande partie de sa langue écrite, tandis que la langue orale avait déjà changé depuis longtemps, et ne pouvait plus aider à la reconstruction du coréen écrit. Les archives et artéfacts d’antan ayant été pour la plupart détruits, ils ne purent venir en aide aux Coréens pour restaurer leur langue passée. Nous verrons par ailleurs que ce ne fut pas le premier traumatisme…
Ces temps de souffrances, de famines, et de maladies, menèrent à la publication d’une encyclopédie médicale « Trésors de la médecine de l’Est (동의보감 | 東醫寶鑑) » (1610) en 23 volumes, qui permettait de soigner tous les maux existant à l’époque, par la médecine traditionnelle coréenne de l’époque Joseon.
(https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hunminjeongum.jpg)
(Figure 2) 菊池容斎『蒙古襲来図』 (Les invasions mongoles par Kikuchi Yôsai), 東京国立博物所蔵 (Conservé au Tokyo National Museum)
(https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kikuchi_Yoosai_-Mongol_Invasion(m%C5%8Dko_sh%C5%ABrai)_-_Tokyo_National_Museum.jpg)
Carnet de vocabulaire du coréen et japonais médiévaux
Alcool
Le mot alcool témoigne d’un passé commun car il se disait suil ou saka en proto-japonais-coréen, qui ont engendré les mots contemporains 술 (sul) et 酒 (さけ | sake). Le saké ou l’alcool de riz s’utilisait autrefois pour les libations, puis se but à la cour de Heian, pour se populariser à l’époque de Kamakura.
Dans la péninsule coréenne, c’est vers l’époque de Goryeo, et l’influence des invasions mongoles, que l’alcool de riz se popularise, surtout sous l’appellation de 소주 (soju) que nous lui connaissons actuellement.
Eau
Ce mot semble issu de la racine mor ou mir en proto-japonais-coréen, et a donné les mots 水 (みず | mizu) et 물 (mul) en japonais et coréen. Nous réalisons ici un hommage aux eaux sino-coréano-japonaises, vastes entités ayant joué un rôle crucial dans la communication des langues, cultures et histoires de cette partie du monde.
Fesse, queue et château
Ces trois mots semblent issus de la même racine siri ou tiri en proto-coréen-japonais, et signifiant « fesses » ou « derrière (direction) ». Cela a donné en coréen 꼬리 (queue (animal)), et 尻 (しり | fesse) mais aussi 城 (shiro | しろ) « château » en japonais, dont le dernier vocable s’apparentait lointainement à la partie antérieure d’une citadelle, avant de désigner la citadelle dans son entièreté.
Fleur, herbe et médicament
Ces trois termes semblent provenir de la même racine proto-coréen-japonais ku(ts)xa qui signifiait « herbe », voire plante médicinale comme le kuzu, une plante employée en médecine traditionnelle japonaise.
En japonais et coréen, nous observons maintenant les dérivés de 草 (くさ | kusa) « herbe » qui sont 薬 (くすり | kusuri) « médicament » et 꽃 (kkot) « fleur ».
Île
La Corée est une péninsule et le Japon un archipel qui ont toujours été séparées par les eaux. Ce mot « île » est issu de la racine proto-coréen-japonais sima, qui semble un mot de l’époque Jômon ayant servi par la suite à désigner le pays insulaire du Japon par les Coréens. Cela expliquerait la transformation en 섬 (seom) et 島 (しま | shima), où le mot japonais garde la même racine en langue aïnue : sir.
Le roi Muryeongwang (무령왕) de Baekje (VIe siècle) avait comme surnom « sema », car il était né sur une île de Kyûshû ; ce qui nous semble indiquer que le mot dérive plus probablement du mot japonais que du coréen.
Japonais et coréen modernes
De l’arrivée des étrangers et de la rupture linguistique
Période abordée : XVIIe siècle – XIXe siècle
Depuis les premières archives chinoises datant de l’Antiquité, nous avons toujours distingué l’influence et l’observation prééminente de la Chine sur le Japon et la péninsule coréenne ; mais depuis le XVe siècle, les puissances européennes gagnaient en puissance ; et c’est vers le début du XVIe siècle que les Portugais se mirent en route pour découvrir le monde.
Ils parvinrent aux Indes, en Chine, puis au Japon (1535-36), mais également dans la péninsule coréenne en s’égarant sur le chemin du Japon.
Les étrangers européens — surtout les Portugais et Néerlandais — jouèrent le rôle d’observateurs et retransmirent parfois, de manière grandiloquente et exagérée, les mœurs des Japonais et des Coréens, mais aussi leur langue. Au début du XVIIe siècle, avant que le christianisme et les missionnaires étrangers ne fussent bannis du Japon (1614 et 1639) et que le Japon ne se fermât pendant près de 200 ans, les premiers dictionnaires étrangers de la langue japonaise se créèrent, après plus de 50 ans d’études de la langue par les Portugais. Dans la péninsule coréenne, il faudra attendre le XVIIIe siècle, avec les premiers missionnaires et leurs traductions d’ouvrages bibliques pour obtenir plus de renseignements sur la péninsule et sa langue. Le premier dictionnaire français-coréen, le « 한불자전 | 韓佛字典 (hanbul sajeon) » fut publié par la société des missions étrangères de Paris en 1880, et contenait près de 27 000 entrées. Les relations franco-coréennes, quant à elles, ne débutent pas avant 1886 comme expliqué plus en avant dans le texte.
Seuls les Hollandais, quelques marchands indiens et chinois pouvaient alors commercer avec les Japonais par le petit port artificiel de Dejima dans la baie de Nagasaki. Quant au peuple japonais il ne pouvait voyager outre-mer sous peine de mort à son retour, ce qui l’aiguillonna à partir à l’aventure dans les contrées de sa nation, qu’il (re)découvrit. Ce penchant du voyage domestique demeure profondément ancré dans l’esprit des Japonais actuels qui aiment s’aventurer par les terres japonaises et découvrir les spécialités régionales.
Pour illustrer cela, nous citerons les « Miscellanées du voyage vers l’Est (東遊雑記) », un recueil de notes de voyage partant d’Édo, l’ancien nom de Tokyo, et s’aventurant vers les terres aïnues d’Ezo (Hokkaïdô), et qui inclut de nombreuses illustrations colorées des lieux visités.
(cf. illustration ci-dessous)
C’est également à l’époque d’Édo (1603 à 1868), l’imprimerie et la paix aidant, que la culture japonaise populaire se mit à foisonner : samouraï, ukiyo-e, nishiki-e, culture du thé, théâtre kabuki, nô, sushi, sauce soja se popularisèrent, ainsi que de nombreuses disciplines « européennes » qui se répandirent peu à peu via les études hollandaises — mot expliqué ci-dessous — et qu’il serait long de décrire ici. La plupart des notions culturelles que nous connaissons du Japon se sont réellement développées à cette époque-là, dans un Japon quasiment fermé aux échanges étrangers, et qui incitait par conséquence la culture populaire et domestique à s’épanouir.
Par la suite, nous noterons les premières publications en français sur le Japon avec « l’histoire du Japon » par Pierre-François Xavier de Charlevoix (1754) et la magnifique édition illustrée d’Aimé Hubert intitulée le « Japon Illustrée » (1870).
Régalons-nous enfin de la notion édosienne de wabi-sabi (侘び寂), qui nous donne à apprécier les choses anciennes mais simples qui se sont embellies dans un cadre esthétique et tranquille : de la mousse poussant sur d’anciennes roches près des temples, ou encore une belle tasse de thé en céramique ancienne.
Les premiers étrangers à pénétrer dans les contrées coréennes furent des Néerlandais et des Portugais, dont Hendrik Hamel, qui dériva vers l’île de Jéju (1653), au sud de la péninsule, et sur laquelle il resta près de treize ans.
Voici un extrait de son journal donnant la première description européenne de la Corée vaguement connue des Portugais d’antan :
[…] A little above Japan, on 34 and 35 degrees, not far from the coast of China, is another big island, called Insula de Core, from which until now, there is no certainty concerning size, people, nor what trade there is. […]
[…] Quelque peu au-dessus du Japon, vers 34 à 35 degrés, non loin de la côte de Chine, se trouve une grande île, appelée « Insula de Core » (par les Portugais), dont on n’a aucune certitude à propos de sa taille, de son peuple, ni de son commerce. […]
Hormis certains Jésuites portugais prêchant leur foi à travers l’Asie mais empêchés de se rendre au Japon, il n’y eut que très peu d’étrangers qui circulèrent dans la péninsule coréenne entre le XVIIe et le XIXe siècle, car celle-ci sembla fort peu encline à les accueillir, se maintenant dans un isolationnisme, délétère pour la nation, et désigné par le terme de « Royaume ermite ».
Léon de Rosny (vu plus loin), nous raconte les propos suivants en 1864, dans l’article « Un aperçu de la Corée » :
La langue coréenne est la moins connue de toutes les langues de l’Asie orientale, et jusqu’à présent il n’en existe ni grammaire ni dictionnaire. Cette lacune dans nos connaissances linguistiques provient principalement des lois sévères d’isolement que la Corée, à l’instar du Japon, a cru devoir s’imposer vis-à-vis des Européens. En effet, les villes centrales et les ports de la monarchie coréenne ayant été sans exception fermés jusqu’à présent à tous les Occidentaux, nul n’a pu acquérir dans le pays quelque pratique de la langue et de la littérature. Aussi les seuls renseignements que nous possédions se réduisent-ils à ceux que renferment les livres chinois et japonais, et à quelques remarques pour la plupart confuses ou inexactes des voyageurs dans les mers de l’extrême Orient. […]
On publia cependant beaucoup à l’époque de Joseon, en hangul semi-classique, mais aussi en chinois traditionnel coréanisé.
La langue servit à propager le bouddhisme et le confucianisme en hangul, même si la langue (semi-)classique demeurait prééminente. La langue coréenne se vit à nouveau influencée par la Chine des Qing (1644 à 1912) cette fois, et se vêtit de nombreux mots sino-coréens très souvent coréanisés au grand dam des vocables coréens natifs datant de l’époque des Trois Royaumes.
Nous voyons ci-dessous un shijo (시조), un poème coréen en 47 jamos (syllabes) comme il s’en écrivait à l’époque Joseon, en hangul ancien mêlé de sinogrammes (hanjas).
Les Coréens du siècle dernier y auront ajouté des hanguls modernes et l’auteur le français (soumis à la règle de syllabes du shijo) :
(https://ko.wikisource.org/wiki/%EA%B0%80%EB%A7%88%EA%B7%80_%EA%B2%80%EB%8B%A4%ED%95%98%EA%B3%A0)
(Figure 2) 『東遊雑記』(« Miscellanées du voyage vers l’Est »)
(http://base1.nijl.ac.jp/iview/Frame.jsp?DB_ID=G0003917KTM&C_CODE=0257-027702)
Carnet de vocabulaire du coréen et du japonais moderne
Piment
S’écrit 苦椒 en coréen, où la prononciation 고추 (gochu), toujours usitée et courante, est une déformation de la prononciation du mot de base 고초 (gocho), quand le mot passa du japonais au coréen.
C’est notamment grâce au piment que le kimchi, le chou fermenté à la coréenne, un aliment autrefois assez fruste car consommé par les moines bouddhistes ascètes, prit sa forme actuelle vers le milieu de l’époque Joseon par l’introduction du piment notamment.
Magasin
Le terme en coréen contemporain signifiant « magasin » se dit 가게 (kage), et provient de deux hanjas dont il a dérivé phonétiquement : 假家, signifiant « maison (magasin) (家) temporaire (假) ». Nous comprendrons ainsi que ce vocable désignait tout d’abord de petits étals qui nous feront penser aux magasins de fortune au bord des rues dans la péninsule, avant de dériver et de signifier « magasin ».
Maurice Courant — auteur évoqué plus loin — nous les décrit :
[…] À Séoul et en province, dans les ruelles tortueuses et sales comme sur les places poudreuses, on voit de petits étalages en plein vent, abrités du soleil par une toile grossière ; et, près de l’étalage, un jeune garçon se tient accroupi, vêtu de chanvre écru, avec la longue natte pendant sur le dos ; il vend des épingles de cheveux, des serre-tête en crin, des miroirs de poche, des blagues et du tabac, des pipes communes, toutes sortes de boîtes, des allumettes japonaises, des pinceaux, de l’encre, du papier et des livres. […]
Ukiyo-e et Nishiki-e
Nous connaissons fort bien dans nos contrées les « ukiyo-e (浮世絵) », notamment par l’influence du japonisme du XIXe siècle. Ces « peintures (絵) du monde (世) flottant (浮)» sont en fait des gravures dépeignant le monde et le peuple d’Édo, mais aussi parfois des créatures fantastiques comme chez Katsushika Hokusaï, un grand artiste d’ukiyo-e. Le « nishiki-e » ou « peinture (絵) brocart (錦) » était un style très prisé d’ukiyo-e haut en couleur et aux personnages fort parlants, ce qui explique son nom.
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Les études hollandaises ou 蘭学 (らんがく | rangaku)
Vers le XVIIe siècle, lorsque l’on chassa les étrangers hors du Japon d’Édo, seuls quelques « élus » pouvaient commercer et échanger avec les Japonais, à l’exclusion des Portugais qui avaient introduit le christianisme au Japon.
Porte étroite mais sûre, le petit port artificiel de Dejima permit la douce propagation des connaissances européennes en anatomie, botanique, agriculture, médecine, géographie, astronomie, dont témoignent maints ouvrages influencés par l’Europe d’antan, et tout cela dans la langue des Hollandais, le néerlandais, qui a permis de forger le mot « 蘭 (Hollande) et 学 (étud(i)e(r)) ». C’est ainsi que le vocabulaire de l’anatomie comme 軟骨 (なんこつ | cartilage), ou « os (骨) mou (軟) » ou encore 盲腸 (もうちょう | appendice) ou « intestin (腸) aveugle (盲) » furent inventés pour traduire des concepts alors inexistants, avant de passer en chinois et en coréen avec les mêmes sinogrammes.
(cf. photo ci-dessous d’un livre d’anatomie entremêlant Japon et Europe, dont la traduction, faute de dictionnaire, a demandé près de quatre ans.)
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「解體新書」(Nouveau livre d’anatomie) 山口県文書館 (Yamaguchi prefecture archive) (http://archives.pref.yamaguchi.lg.jp/user_data/upload/File/ags/3-3-5-010.pdf)
Mer
Il était autrefois le vocable proto-japonais-coréen balal ou batar désignant la « mer », et qui donna le mot ancien 海 (わた | wata), tel que dans 海神 (わたつみ | watatsumi) (dieu des Eaux ; Poséidon) en japonais, puis simplement 바다 (mer | bada) en coréen qui nous est parvenu dans la langue contemporaine.
En japonais actuel, nous disons 海 (うみ | umi), en employant le même sinogramme désignant la mer, et qui semble lui aussi avoir été influencé par le mot rare 오미 (omi) en coréen, signifiant « creux ou dépression (contenant de l’eau) ».
Notons enfin que l’ancien vocable わた (wata) a logiquement engendré le mot 渡(わた)る (wataru) signifiant « traverser ; franchir », et très probablement en premier lieu, la vaste étendue qu’est la mer.
La « mer », en deux syllabes en japonais et coréen, symbolise l’étendue maritime qui a toujours séparé le Japon et la péninsule coréenne, et qui s’est souvent révélée grand écueil des temps anciens, mais aussi grande vectrice de culture et de langue.
Japonais et coréen contemporains
Industrialisation, colonisation et réformes
Période abordée XIXe siècle à notre ère
Nous entrons maintenant dans l’ère moderne, lorsque le Japon et la péninsule coréenne se réveillèrent de leur torpeur et doux sommeil bien à l’écart du monde, au crépuscule d’un passé médiéval qui contrastait avec le monde au grand galop du XIXe siècle, mais qui était hélas à l’aube d’une modernisation radicale et destructrice.
Le Japon, influencé par les idées européennes d’impérialisme et de colonisation lorsqu’il dut s’ouvrir après 1868 sous les sommations du commodore Perry dans le port de Yokohama, réalisa une transition drastique du Moyen Âge de l’époque d’Édo vers l’époque dite « moderne » qui devint grande consommatrice de ressources et se mit à bâtir à tort et à travers. Le Japon imposa ensuite peu à peu sa domination à la Chine, puis colonisa la péninsule coréenne vers la fin de l’époque Meiji (1868 à 1912), en 1910.
La dynastie coréenne de Joseon, que l’on avait forcée à ouvrir ses ports à l’étranger par le traité de Kanghwa (1876) était alors croulante, et toujours restée dans une société séparant les puissants et le peuple comme en témoignent les photos ci-dessous. Aussi la tâche fut-elle simplifiée pour les Japonais. Pendant près de quarante ans (1900-10 à 1945), l’Empire du Japon força les péninsulaires coréens à apprendre le japonais, tenta de réprimer la langue coréenne et ses locuteurs dans son essence même, d’où les quelques mots japonais qui se sont agrippés à la langue coréenne, mais aussi les profondes séquelles qui perdurent toujours dans l’esprit des Coréens. Leurs terres, leurs forêts, ainsi que le fruit de leur pêche leur fut ôté par les Japonais pendant trois décennies, dans des mesures d’austérité dignes du régime hitlérien.
Comme si cela n’eût suffi, deux guerres mondiales éclatèrent à vingt ans d’intervalles, et la dernière, après avoir anéanti les appétences colonisatrices du Japon, donna lieu à une guerre, sur fond de Guerre Froide, dans la péninsule coréenne (1950 à 1953) qui sépara le pays en deux entités : Corée du Sud et du Nord, au-delà du 38ème parallèle.
Cette fracture scella définitivement le sort de la langue qui muta grandement au Sud, sous l’influence de l’anglais puis de l’ouverture progressive au monde via Internet et des débuts de la démocratie dans les années 90. En cause de cela, nous observons à présent de nombreuses différences de graphie et de vocabulaire entre le nord et le sud. Nous appellerons ces deux langues de façon relativement neutre 북녘말 (coréen du nord) et 남녘말 (coréen du sud), dont nous observons les différences dans les mots suivants :
터널 (teonneol) et 차굴 (chagul) signifiant « tunnel » ; 요리 (yori) et 료리 (ryôri) signifiant « cuisine » ; 하마 (hama) et 물말 (mulmal) signifiant « hippopotame ».
(Pour plus d’informations, voir l’article sur les trois Corée de NicoDico.)
Dès l’époque moderne de l’industrialisation, les réformes permettant de créer une langue moderne pour une nation de même acabit se succédèrent, et le coréen perdit son (semi-)classicisme chinois que seule l’élite employait. Les conglomérats de consonnes difficiles du passé se volatilisèrent (réformes de l’orthographe : 1905, 1933, 1988), et enfin, les Japonais partis du territoire coréen (1945), le hangul put de nouveau prendre son essor. Hélas ces réformes tuèrent les nombreuses possibilités sonores qui existaient autrefois en coréen comme le « f », le « w », le double « h » ou encore le « z ». (cf. tableau ci-dessous)
En Corée du Nord, en 1949, Kim Il Sung, le père de la nation nord-coréenne, abolit les sinogrammes ; et ce n’est que depuis les années 1990, lorsque les deux Corée, voire trois en incluant l’île de Jéju, commencèrent à s’ouvrir que le coréen se stabilisa en se délestant des sinogrammes pour se tourner vers un futur uniquement en hangul.
La création du premier journal coréen, le « Journal de l’Indépendance » (1896), graphié à l’époque « 독닙신문 (doknip shinmun) », au lieu de « 독립신문 (dokrip shinmun) » était publié en hangul, tout en incluant parfois certains hanguls anciens, et devint le moyen premier de véhiculer des idées en hanguls, tout en gagnant vite en popularité. Ce fut un journal libre d’expression, charriant des idées parfois révolutionnaires.
En voici un extrait de la première édition :
(cf. photo ci-dessous)
[…] En ce jour de la publication du journal de l’indépendance, nous allons primairement révéler nos idées aux citoyens étrangers et coréens qui résident en le pays de Joseon. […]
Observons l’intéressant emploi de Joseon pour parler de la péninsule coréenne et qui sera par après utilisé en Corée du Nord.
L’époque moderne vit également foisonner la littérature dans la péninsule et au Japon ; elle débordait, affluait, véhiculant des idées parfois européennes, parfois purement japonaises ou coréennes, et représentait vraiment l’âge d’or des langues japonaise et coréenne. Ces langues déployaient alors maintes subtilités, musardaient parmi des trésors de syntaxe et vocabulaire désormais déchus, s’écrivaient sous leur forme la plus choyée que l’on pourrait réellement désigner par une expression éculée de notre époque : « de qualité ».
Citons comme exemple l’auteur Lee In-jik (이인직) qui écrivit le premier roman à la coréenne, « Larmes de sang (혈의 누) (1907) et dont voici un extrait :
일청전쟁(日淸戰爭)의 총소리는 평양 일경이 떠나가는 듯하더니, 그 총소리가 그치매 사람의 자취는 끊어지고 산과 들에 비린 티끌뿐이라.[…]
Les coups de fusil de la guerre sino-japonaise semblaient avoir quitté Pyeongyang, que lorsqu’ils s’arrêtèrent vraiment, on n’observa plus personne en aucun endroit et il ne demeura que des miasmes puants dans les montagnes et les champs. […]
Voici également un extrait du recueil de nouvelles « Transition (과도기) » (1929), présentant un personnage retournant de Manchourie en son village natal de la Corée du Nord (Joseon), et écrit par l’auteur nord-coréen Han Seolya (한설야) :
창선이는 한심스러운 생각이 더쳐 왔다. 제 고장이라고 그리워하였고 제 친족이라고 찾아는 왔으나 생각던 바와는 아주 천양지판이다. 조선 가면 아무 일이라도 해 먹으려니 했으나 막상 와보니 그 ‘아무 일’이란 아무데서도 찾을 수 없었다.[…]
Des pensées pleines de pitié virent à l’esprit de Chang Seon. Quelle différence y avait-il maintenant entre son village natal qui lui avait manqué et ses proches auquel il rendait visite, et ce qu’il avait gardé comme souvenirs d’antan. Il avait pensé pouvoir se comporter et manger normalement, mais en se rendant à Joseon, il ne trouva nulle part cette normalité. […]
Nous remarquerons ici la graphie ancienne de 고장 (고향) (village natal) et 조선 (Joseon) signifiant ici « Corée du Nord » en hommage à ce royaume ancien, l’un des âges d’or de la péninsule.
Nous citerons enfin le premier dictionnaire des mots coréens qui fut compilé en 1911, le《말모이》ou « Rassemblement de mots », qui définit l’ordre actuel des dictionnaires de langue coréenne, en commençant les recherches par la consonne ㄱ (k). Il demeura malheureusement inachevé, et le premier dictionnaire est réellement publié dans les années 20, avant d’obtenir des dictionnaires plus complets dans les années 30 puis 50.
Nous nous rendons maintenant au Japon de l’époque Meiji (1868 à 1912) : les réformes linguistiques y uniformisèrent la langue ; on compila les premiers dictionnaires de « langue du pays (國語) » et créa les premiers matériaux pédagogiques ; mais les sinogrammes reçurent de grands coups de poignard, en manquant même de disparaître, au cours d’une réforme d’abolition émise en 1866 qui ne s’appliquera heureusement pas. Les ordinateurs permirent d’écrire et d’assimiler, à la grande surprise du monde sinogrammique, tous les sinogrammes créés jusqu’à présent, ce qui les empêcha de disparaître en Chine et au Japon. Les kanas subiront, à l’ère Shôwa (1926 à 1989) d’après-guerre, des réformes pour les écrire de façon contemporaine, et six d’entre eux disparaîtront.
Quant à la littérature japonaise, nous avons abordé plusieurs fois le grand auteur Akutagawa Ryûnosuke en captures (stories) ainsi que dans l’article sur les particules Wa et Ga, et il semblera de ce fait oppressant de le citer à nouveau. Il est par surcroît tellement d’auteurs de grand talent à mentionner de la littérature de cette époque qu’il faudra hélas couper court, mais nous mentionnerons rapidement Arishima Takeo, Kajii Motojirô, Miyazawa Kenji, Kunikida Doppo, Kawabata Yasunari et, ô grand regret, il faut déjà arrêter là de crainte d’ennuyer le lecteur. (Retrouvez une liste d’auteurs sur le Discord de NicoDico.)
Nous allons voir ci-dessous un court extrait du père de la littérature japonaise, Natsumé Sôseki, et de son œuvre principale « Je suis un chat (吾輩は猫である) » (1906), roman semi-classique observant le Japon de Meiji sous le regard acerbe d’un chat fort érudit :
吾輩は猫である。名前はまだ無い。
どこで生れたかとんと見当がつかぬ。何でも薄暗いじめじめした所でニャーニャー泣いていた事だけは記憶している。吾輩はここで始めて人間というものを見た。[…]
Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom.
J’ignore complètement où je suis né. Je me rappelle juste miauler dans un endroit humide et sombre. C’est là que j’y ai pour la première fois rencontré les humains. […]
Observons le ton chat-ristocratique du félin avec le pronom 吾輩 (わがはい | wagahai), généralement destiné aux personnages du milieu aristocratique.
Sur ces entrefaites, en nos contrées francophones, vers la fin du XIXe siècle, le voyage se popularisa qui permit à des mondains comme Pierre Loti de se rendre en Asie et de charroyer les idées les plus préconçues, mais également à de vrais intellectuels et connaisseurs de cette partie du monde comme Édouard de Chavannes, Léon de Rosny de promouvoir la sinologie, la japonologie et de prêcher le vécu et l’expérience dans leurs enseignement et ouvrages. Les relations franco-coréennes ne débutant qu’à partir de 1886, nous ne pouvons compter, pour en apprendre davantage de la péninsule coréenne en français, que sur Maurice Courant, le père des lettres coréennes dans le milieu francophone, et qui fut interprète pour l’Ambassade de France dans la péninsule en 1890 : il rencontra ainsi les derniers empereurs et leurs descendants dans un Joseon ancien qui se modernisait rapidement.
Il ne faudrait toutefois oublier Émile Guimet, le futur fondateur du Musée de même nom, un homme de grand savoir qui se renseignait sur toute chose, et surtout discutait des pays qu’il visitait de manière tout à fait précise et informée.
l écrivit ainsi sur le Japon tel qu’il semblait être il y a quelque cent quarante ans d’une plume digne d’un écrivain du XIXe siècle, et qui se passait surtout des remarques blessantes et colonisatrices que l’on retrouvait abondamment dans d’autres ouvrages de la même époque. Ses écrits de voyageur renseigné peuvent difficilement s’accomparer avec ce qui s’écrit sur l’Asie à notre époque, dans un français pauvre et peu informé.
Un petit dialogue extrait de l’ouvrage « Promenades japonaises » (1878, « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France ») semble interloquer et vouloir amener l’auteur à se remettre en question. Or, en lisant les écrits de l’auteur à notre époque, il s’avère plutôt que les bureaucrates qui l’interrogent sont pris à leur propre piège.
Quand on lit ce qui s’écrit sur le Japon et sa langue à notre époque, on ne peut qu’apprécier la description qu’en fait Émile Guimet quand il s’y rend, et pour la première fois :
« » » »PETIT DIALOGUE EN MANIÈRE D’AVIS AU LECTEÙR
À l’hôtel on cause, et je subis naturellement les interrogatoires d’usage.
— Monsieur vient au Japon pour faire du commerce ?
— Non, monsieur.
— Alors c’est pour faire de la banque ?
— Pas davantage.
— Sans doute monsieur est appelé ici comme employé du gouvernement japonais ?
— Encore moins.
— Monsieur est probablement dans la diplomatie ?
— Pas le moins du monde.
— Peut-être dans le journalisme ?
— Du tout.
— Vous voyagez donc pour votre plaisir ?
— Pas précisément. Je ne voyage ni pour mon plaisir ni pour celui des autres. Je viens étudier les religions de l’extrême Orient.
—….?!
Après un moment de stupéfaction on revient à la charge.
— Monsieur est missionnaire catholique ?
— Non.
— Pasteur protestant ?
— Non.
— Vous êtes littérateur et vous voulez faire un livre sur le Japon.
— Sans doute. Et peut-être plusieurs.
— Allons bon ! Ces touristes sont incorrigibles. Vous allez passer un mois ici et à votre retour en France vous allez écrire sur les mœurs, la nature, la politique du Japon. Mais, monsieur, vous n’en saurez pas le premier mot. Nous, qui habitons ce pays depuis quinze ans, nous nous garderions bien de publier une ligne sur cette contrée incompréhensible.
— Mais alors, permettez-moi de vous faire observer que puisque les vieux résidents comme vous n’écrivent rien sur le Japon, il faut bien que les voyageurs de passage en disent quelque chose. Et puis, il y a deux manières de parler d’un pays : il y a le procédé statistique qui vous donne des renseignements exacts sur la population, les productions, le commerce, les lois, etc., et le procédé artistique qui ne cherche qu’à rendre les impressions reçues, fussent-elles de quelques minutes, et ce sont ces premières impressions, croyez-le, qui sont les plus vives.
— Oui, et c’est par ce procédé qu’on arrive à faire un ouvrage qui fourmille d’erreurs, parce que sur la moindre chose on est mal renseigné ! Si vous saviez comme tout ce qui se publie sur le Japon nous fait rire, vous mettriez votre carnet de voyage dans votre poche et vous l’y laisseriez jusqu’à votre retour en France, pays sur lequel vous en savez plus long que sur celui-ci et sur lequel vous feriez bien de dire la vérité.
— Je m’en garderai bien ! Quand je voudrai savoir ce qu’est la France, je lirai les impressions de voyage d’un Japonais. Et c’est par cette même raison que lorsqu’un Européen veut connaître le Japon ou tout autre pays d’Orient, il recherche les photographies, les croquis des voyageurs et les impressions des touristes, avec la certitude que ces notes prises au jour le jour feront voyager le lecteur lui-même et lui donneront
sa part des plaisirs et des ennuis, des joies et des mécomptes, des enthousiasmes et des déceptions qui constituent l’attrait d’une excursion
autour du monde.
— À votre aise, monsieur, mais vous allez bien nous amuser !
C’est donc dans l’intention d’être agréable à ces messieurs que je continue à prendre des notes et à étudier avec soin les moindres sensations que cet intéressant voyage me fait éprouver. » » »
Nous constaterons ainsi que les lettres coréennes et japonaises (mais aussi françaises) se rompirent au cours du siècle dernier, à travers les guerres, réformes peut-être pas toujours utiles qui l’agitèrent, car reflets d’une société qui se précipite toujours à la simplification et sombre dans un capitalisme de bas étage, pour ensuite s’angliciser et s’amoindrir derechef par l’apport de la technologie et l’alliage d’un anglais lui-aussi délaissé par bon nombre de ses natifs.
독닙신문 (Journal de l’Indépendance) (https://ko.wikipedia.org/wiki/%ED%8C%8C%EC%9D%BC:%EB%8F%85%EB%A6%BD%EC%8B%A0%EB%AC%B8.jpg)
Carnet de vocabulaire du japonais et coréen contemporain
Civilisation
Fut étampé à l’époque Meiji sous les deux sinogrammes suivants : 文明 (ぶんめい | bunmei), soit « lettres (文) éclairées (明) », véritables symboles de la littérature et de l’ouverture au monde. Ces sinogrammes sont passés tels quels en coréen et en chinois.
École
Composé de deux sinogrammes 学校 (がっこう | gakkô), soit « cour (校) d’apprentissage (学) », et est une création japonaise qui est passée en coréen et en chinois, également telle quelle.
Œuf
En langue coréenne, ce mot banal est le reflet de la transmission culturelle sino-coréenne, car il se dit 계란 (keran) ou 달걀 (dalgyal). Le premier étant composé des sinogrammes 鶏 (poule) et 卵 (œuf) et le deuxième étant issu d’une lente dérivation phonétique de 닭 ( dalk | poule) et 알 ( al | œuf), deux mots purement coréens.
Cartable, sac
Ce mot provient de la colonisation japonaise, lorsque les Coréens furent obligés d’user de mots japonais : 가방 (kabang) venant de かばん (kaban).
Ampoule
Cette fois témoins de la fracture nord-sud, il existe en coréen contemporain deux manières de parler d’une ampoule : 전구 (jeongu) et 불알 (bulal). La première étant la façon coréano-japonaise de le dire en Corée du Sud (電球) ou « bulbe (球) d’électricité (電) » et la deuxième la façon purement coréenne de le dire en Corée du Nord ou « boule (알) de feu (불) ».
Japonais et coréens futurs
Du développement futur
Période abordée : de notre ère à l’avenir
Maintenant que nous avons examiné, en tâchant de la survoler le moins possible, la presque totalité de l’histoire des langues japonaise et coréenne, qui vient s’enchevêtrer à celle de la Chine, nous devrions en posséder une vision plus claire.
Il nous paraît à présent possible de se pencher vers le futur de ces langues et de les imaginer telles qu’elles seront dans une, voire plusieurs décennies.
Dans la péninsule coréenne, nous constatons tout d’abord un déclin grandiloquent de l’utilisation et de la compréhension des sinogrammes : ceux-ci étant presque entièrement masqués dans la langue courante, leur usage s’est presque perdu, et les mots du coréen contemporain continuent leur dérivation sémantique, grandement influencée par l’anglais. Nous ressentirons également l’influence néfaste de l’anglais — du moins de sa forme vernaculaire relayée par des locuteurs la cultivant peu — qui vient imprégner la langue dans son essence même et l’ôter de nombreux mots, non seulement sino-coréano-japonais, mais également coréens natifs datant de la fin du Néolithique voire avant cela.
La Corée du Nord vient à s’ouvrir progressivement, et nous livre ses trésors linguistiques et historiques, car elle fut le théâtre réel des débuts de l’histoire de la péninsule coréenne. Il se compile actuellement le premier dictionnaire historique des langues coréennes du sud et nord, nommons : 겨레말큰사전 (gyeoremal kun-sajeon), soit « Grand dictionnaire des mots du peuple », dont la publication aura lieu l’année prochaine (2021). (cf. photo de présentation ci-dessous)
Espérons ainsi que nous pourrons bientôt apprendre et partager la langue coréenne du Nord, créative et innovante, d’une grande richesse linguistique, et ayant conservé de nombreux mots du passé ou bien forgé ses propres mots.
Quant au japonais, quoique la langue utilise toujours les sinogrammes, la technologie semble réduire la connaissance native des kanjis, qui semblent avoir disparu au moins de moitié depuis la littérature de l’époque Meiji-Shôwa. Le vocabulaire japonais semble s’être également amoindri lorsque l’on écoute la langue véhiculée par les médias et la télévision, d’où sa simplification extrême auprès de certains natifs.
On remarquera toutefois certaines tentatives de « reculture » et de dépassement, comme le concours annuel « Sôsaku kanji (創作漢字 | そうさくかんじ) » qui chaque année permet la création de nouveaux kanjis, mais qui paraît plus ludique que pragmatique. (cf. photo ci-dessous)
Tout comme pour le français, et d’autres langues que l’on ne choie plus, tel quel l’anglais, une langue d’une grande richesse par le passé mais dont la qualité semble s’amenuiser de jour en jour, pour le japonais et le coréen, la technologie qui amène à des sites et plateformes de mauvais aloi vient aussi jouer un rôle abêtissant, en réduisant les occasions d’écrire à la main, ou bien de rédiger réellement dans la pleine étendue de sa langue. Elle empêche aussi d’écrire tout simplement d’une manière correcte, ce qui semble dû à une simple paresse ou à un besoin presque physiologique de rapidité, un grand mal de notre siècle. Les apprenants tombent hélas dans ce même piège et apprennent parfois de natifs qui ne soignent pas leur langue, ne lisent plus, et ne se confrontent ainsi guère à une langue de bonne facture, comme celle des documentaires et des livres réalisés par des gens qui chérissent leur langue maternelle. Il n’eût bien sûr point fallu se documenter tout le long du jour à propos d’informations difficiles à aveindre, mais de temps à autre, une plongée dans la culture en sa langue s’avèrera bénéfique pour préserver la qualité de cet héritage.
Un manque de lecture et d’attention, de la part des natifs et des apprenants, viendront éteindre les dernières flammes qui ardent en l’âme même de ces langues.
Ne les laissons point s’évanouir.
(Figure 2) Concours de création de kanjis avec 衣 (vêtement) qui est transformé en ceintre pour créer ce mot en kanji
(https://sousaku-kanji.com/archive/contest_6th.html)
Carnet de vocabulaire du japonais et coréen de notre
Smartphone
Prison et ouverture de notre ère, le smartphone vient de l’anglais phonétisé dans les deux langues : スマホ (sumaho) et 스마폰 (sumapon).
Tablette
Objet pragmatique et parfois graphique, ce mot provient de l’anglais phonétisé : タブレット (taburetto) et 타블렛 (taburret).
Ordinateur
Tombereau du bien et du mal de notre ère, l’ordinateur vient de deux mots en anglais phonétiqu : パソコン (pasokon) et 컴퓨터 (keompyuteo).
Avion
Le mot japonais récent 飛行機 (ひこうき | hikôki) est passé en coréen sous la forme 비행기 (bihaenggi). Il désigne l’avion et témoigne des récentes possibilités nouvelles de voyage.
Voyage
Les mots 旅行 (りょこう | ryokô) et 여행 (yeohaeng), venant tous les deux du chinois classique, expriment l’action de plus en plus courante à notre époque de se rendre en des terres inconnues pour s’ouvrir l’esprit, partager et s’émerveiller.
Comptons également sur cette génération qui peut maintenant voyager, et se passer ainsi de médiateurs peu informés, et souvent véhicules d’images déformées des pays du monde ; cette nouvelle génération promouvant le voyage pourra sûrement se pardonner le passé souvent esquilleux de ses ancêtres et construire un futur plus ouvert et prometteur.
Chroniques annexes, dites « Lie Zhuan (列傳) » à l’instar des chroniques chinoises des Han et Wei
Arc premier : Gojoseon | 古朝鮮編 | 고조선 편
Voici la première mention tout à fait mythologique du royaume de Gojoseon dans le « Samguk yusa (Choses et legs des trois Royaumes | 三國遺事) » (1310), l’un des premiers livres d’« histoire » de la péninsule et rédigé à la fin de l’époque Goryeo.
Il nous raconte la légende de Tanggun, longtemps utilisée pour asseoir le pouvoir divin des rois de la péninsule. (Traduction de l’auteur)
昔有桓因庶子桓雄。數意天下。貪求人世。父知子意。下視三危太伯可以弘益人間。乃授天符印三箇。遣往理之。雄率徒三千。降於太伯山頂。 神壇樹下。謂之神市。是謂桓雄天王也。將風伯雨師雲師。而主穀主命主病主刑主善惡。凡主人間三百六十餘事。在世理化。時有一熊一虎。同穴而居。常祈于神雄。願化為人。時神遺靈艾一炷。蒜二十枚曰。爾輩食之。不見日光百日。便得人形。熊虎得而食之。忌三七日。熊得女身。虎不能忌。而不得人身。熊女者無與為婚。故每於壇樹下咒願有孕。雄乃假化而婚之。孕生子。號曰壇君王儉。 以唐高即位五十年庚寅都平壤城始稱朝鮮。又移都於白岳山阿斯達。又名弓忽山。又今彌達。御國一千五百年。周虎王即位己卯封箕子於朝鮮。壇君乃移於藏唐京。 後還隱於阿斯達為山神。壽一千九百八歲。[…]
Il était autrefois Hwanung, le vrai fils de Hwanin (dieu du ciel). Ce fils désira maintes fois descendre sous le ciel afin de sauver le monde des humains. Son père le sachant, lui donna trois sceaux divins afin qu’il pût gouverner ce monde.
Hwanung dirigea une troupe de trois mille hommes et descendit sous l’arbre céleste situé au sommet du mont Taebek 1) ; il appela cet endroit « shinsi (ville divine) » et y fut intronisé roi Hwanung. Il prit sous son aile les dieux du vent, de la pluie et des nuages ; et assigna à près de trois cents soixante hommes les tâches du grain (agriculture), de l’ordre (direction), des maladies (médecins), de la punition (justice), mais aussi du bien et du mal (morale) pour diriger ce monde.
Il était alors un ours et un tigre qui vivaient en la même tanière et souvent priaient-ils le dieu Ours (Hwanung). Ce dernier leur fit grâce d’une branche d’armoise magique et de vingt gousses d’ail puis leur dit : « Si vous les mangez et vous abstenez de voir la lumière du jour pendant cent jours vous deviendrez humains ». Les deux compères animaux reçurent les présents, les mangèrent et connurent maints tracas ; mais après vingt-et-un jours l’ours devint une femme ; le tigre n’ayant pu supporter telle peine ne devint point humain.
N’ayant d’homme à marier, la femme se rendit auprès de l’arbre céleste pour lui demander à être enceinte. Hwanung se changea alors temporairement en humain pour l’épouser ; et elle enfanta un garçon qui devint le roi Tanggun.
Près de cinquante ans après l’intronisation de Yao des Xia, en l’an Kyeongin 2), Tanggun installa une ville à Pyeongyang et l’appela « Joseon ». Il la déplaça par la suite à Asadal près du Mont Baekak 3), qu’il appela Kunghol-san ou encore Kummyeo-dal. Pendant près de 1500 ans, il gouverna le pays ; et en l’an Kimyeo 4), à l’intronisation du roi Mu des Zhou 5), il donna à Kija 6) le royaume de Joseon qui en devint roi. Tanggun migra à Jangdanggyeong 7), puis revint se cacher à Asadal pour en devenir Dieu de la Montagne, à l’âge de 1908 ans. […]
1) Montagne de la Corée du Sud actuelle
2) Année inconnue
3) Montagne de la Corée du Sud
4) Année inconnue
5) Possiblement vers 1043 avant notre ère
6) Personnage mythique qui aurait introduit le chamanisme dans la péninsule
7) Lieu inconnu
Nous comprendrons par cette légende tout à fait hasardeuse sur les lieux et dates que le royaume de Gojoseon s’est supposément enraciné en 2333 avant notre ère, à l’époque des légendaires Xia de la Chine — dont on commence à retrouver les traces —, mais peu de crédit historique doit être accordé à cette légende, surtout depuis l’avènement de l’archéologie et le retraçage de l’homme du Paléolithique et Néolithique dans la péninsule coréenne.
Sur le plan linguistique nous observerons que le terme 달 (dal) qui s’observe dans la montagne mystérieuse de la légende, mais aussi le mot 왕검 (wanggeon) semblent indiquer une prononciation coréenne désuète pour des mots oubliés, et signifiant respectivement « montagne » et « roi | suzerain ». Les mots 양달 (yangdal) et음달 (umdal) actuels contenant tous deux 달 (dal) font par ailleurs référence à un « endroit (ensoleillé ou à l’ombre) », et semblent les très probables vestiges de ce mot ancestral.
Le mot 조선 (Joseon), qui est maintenant employé par la Corée du Nord de manière légitime pour se désigner, semblerait lui aussi un reliquat d’un mot de Gojoseon — probablement sinisé via les sinogrammes sémantiques et phonétiques —, et signifiant « matin (朝) » « frais (鮮) », et nullement « matin calme » qui est une appellation erronée de médias peu informés. Le sinogramme 鮮 (frais) s’est en effet toujours composé, depuis sa forme la plus ancienne (bronze), d’un poisson (魚) et d’un mouton (羊), mets autrefois luxueux et requérant toujours une grande fraîcheur pour être dégustés. (cf. cent histoires de sinogrammes)
Quant au nom même de cette dynastie, il existe maintes suppositions à son propos, débutant par les notes annexes sur les « Chroniques historiques (史記) » de Sima Qian des Hans, rédigées vers le IIIe siècle de notre ère. Les historiens chinois des dynasties Sud nous y indiquent que le nom de Joseon serait issu de l’assemblage de trois fleuves de la région de Gwanseo (nord-ouest de la péninsule coréenne) englobant Pyeongyang. Plus tard, les commentateurs de l’époque Tang nous indiquent que les sinogrammes 朝 (matin) et 鮮 (frais) sont semi-phonétiques et que le premier correspondrait plutôt à 潮 (marée) faisant référence à la marée matinale, d’où le sens du matin, de la brise maritime et des eaux fraîches des fleuves de la région ainsi que leur embouchure. Quant au deuxième sinogramme, il s’agirait plutôt du fleuve Nakdong, probablement désigné par une prononciation s’apparentant au deuxième sinogramme (선 | seon), et qui traverse tout le sud de la péninsule sur près de 500 kilomètres en partant du mont Taebaek, cité dans la légende. Malgré l’ambiguïté du texte, les lieux sembleraient corroborés par le nom de la montagne sacrée Taebaek puis Baekak, deux montagnes du centre-sud de la péninsule ayant été probablement englobées dans le territoire de Gojoseon qui s’étendit au fur et à mesure, et aurait pu y déplacer sa capitale ou son pouvoir temporairement, lors des attaques de tribus coréennes ou des chinois Han, près de l’une de ces montagnes.
Ces sinogrammes des archives chinoises (朝鮮), tout comme ceux du Japon expliqués dans un article précédent, sembleraient associer les anciennes terres de Gojoseon au « soleil qui se lève à l’Est », donc plus « tôt » que celui des Chinois dans les croyances anciennes, et semblerait ainsi « avancé » et d’une plus grande « fraîcheur », d’où le sinogramme phonétique de « frais ». Pensons également au mot « souverain » de Gojoseon — expliqué ci-dessus —, lui aussi composé d’un sinogramme sémantique et d’un autre phonétique : la construction sinisée semble similaire.
Rappelons au demeurant que le mont Asadal, transcription phonétique chinoise ou coréenne, semble lui aussi faire référence au « matin », un mot lui venant du proto-japonais-coréen, et de la racine atsxam ou asam. Ce vocable a donné asa en japonais et achim en coréen par la suite, probablement via le royaume de Goguryeo puis Baekje se situant sur les anciennes terres de Gojoseon.
Linguistiquement parlant, nous pouvons ainsi conjecturer que, nonobstant le hasard mythologique des lieux abordés, le mot « matin » semblerait révéler un indice de choix sur le nom ancien de l’un des premiers royaumes de la péninsule. La prononciation ancienne semble néanmoins avoir été oubliée, même dans les plus vieilles archives coréennes du « Samgug-saki » et « Samguk-yusa » écrites à l’époque Goryeo. La première mention de l’étymologie de Gojoseon, parmi les quelques documents extants, remonte à l’époque de Joseon, au 《신증동국여지승람| 新增東國輿地勝覽》, un livre de géographie de 1530, qui nous indique également, sous une influence chinoise évidente, que Gojoseon était une terre sise à l’est, où se levait le soleil. Ce soleil dardant ses rayons très tôt le matin, il faudrait le lier à une certaine fraîcheur au vu de la situation septentrionale et montagneuse de la péninsule coréenne, où la température descend très souvent sous le zéro.
Le mot ancien 달 (dal) pour une montagne ou un endroit élevé qui s’est transmis à Goguryeo avant de tomber en désuétude nous vient montrer à nouveau quelques indications anciennes, sur ce mystérieux royaume de Gojoseon que l’on interprétera plutôt comme le « royaume du soleil vif » ou encore de « la montagne du soleil », des appellations qui sembleraient bien plus probables qu’un « pays du matin frais » très hasardeusement sinisé.
L’archéologie et l’histoire nous révéleront maintenant d’intéressantes coïncidences qui feront réellement débuter l’origine des premières villes fortifiées coréennes et de leur élite supposée vers le Ve siècle avant notre ère, dans la ville de Pyeongyang en Corée du Nord actuelle, et qui deviendra par la suite la capitale du royaume de Goguryeo lors de l’époque des Trois Royaumes.
La péninsule coréenne était entrée à l’âge du bronze vers 1000 avant notre ère sous l’influence chinoise et son pouvoir avait commencé à gonfler à partir de cette époque. Nous constatons l’apparition des premières villes dignes de ce nom vers l’âge du fer en 400 avant notre ère et nous pourrions conséquemment supposer que, s’il eût existé un royaume de Gojoseon à l’époque du Néolithique de Mumun, il se fût situé à Pyeongyang. Enfin, quoiqu’il se fût démené pour asseoir son pouvoir à grand renfort d’armes et de guerriers, il se serait éteint sous les attaques répétées des Chinois des Royaumes Combattants vers le IIe siècle avant notre ère, car ces derniers lui étaient numériquement et technologiquement supérieurs. Ce royaume mythique pourrait alors avoir été potentiellement influencé par la Chine, notamment par la transmission de la divination ossécaille dans la péninsule avant que celle-ci n’arrivât au Japon.
Certains sites archéologiques ont également permis d’exhumer d’anciennes épées en bronze, témoins de guerres anciennes ; mais il ne faudrait oublier les dolmens probablement érigés à l’intention de l’envahisseur en signe d’avertissement ; ou encore les tombes de gens de prestige qui s’amassent près de la rivière Taedong. Le royaume de Gojoseon semblait en outre entouré antan de maintes petites tribus et son pouvoir paraissait s’étendre du bassin du Liaodong jusqu’aux confins de la Corée du Nord, tout en s’enracinant à Pyeongyang. Cela laisse beaucoup de crédit à croire que Goguryeo semble son légitime descendant, avec plusieurs dizaines d’années voire un siècle de battement historique dû à des potentiels conflits entre tribus ou l’influence trop prononcée des Chinois de Wiman (Yan) puis Hans.
Arc deuxième : la Confédération de Gaya | 가야연맹 편 | 伽耶聯盟編
Voici la première mention énigmatique de cet État, toujours dans les archives chinoises des « Chroniques des Trois Royaumes » :
[…] 弁辰狗邪國 […]
[…] Parmi les tribus coréennes, il est le pays de Gaya […]
Voici maintenant la première mention, tout aussi mystérieuse, de Gaya dans les « Chroniques des Trois Royaumes », coréens, cette fois, le premier texte d’histoire (qui nous est parvenu) de la péninsule et écrit en 1310 :
[…] 國稱大駕洛又稱伽耶國即六伽耶之一也餘五人各歸爲五伽耶主東以黄山江西南以滄海 西北以地理山東北以伽耶山南而爲國尾 […]
[…] Ce pays se nomme Grand Garak ou encore pays de Gaya, soit un pays parmi six ; près de cinq personnes sont devenus les rois de Gaya et leur royaume s’étend du fleuve Hwangsang à l’est ; au sud-ouest par la mer de Changhae et au nord-ouest par le mont Jiri ; enfin le pays prend fin au sud. […]
Nous ne parlerons pas ici des références à Gaya dans les premiers écrits japonais car celles-là semblent soumises à controverse, mais le Nihon Shoki (日本書紀), premier livre « d’histoire » japonaise écrit au VIIIe siècle se reporte lui aussi plusieurs fois au nom de Gaya.
La confédération de Gaya (42 à 562) fut un État mystérieux se situant dans le sud-sud-est de la péninsule coréenne, enclavé entre les royaumes de Shilla et Baekje, et demeurant dans le bassin du fleuve Nakdong mais surtout son embouchure, endroit fort montagneux mais très fertile.
Cet État résulta de la fusion d’environ douze puis vingt-deux tribus chinoises et aborigènes, qui coexistaient de manière relativement paisible, et qui durent très probablement se fédérer de la sorte pour contrer les invasions voisines ou pour renforcer leur économie mutuelle. La confédération de Gaya naquit près de deux siècles après les trois autres royaumes de la péninsule coréenne ancienne ; on lui supposera, au vu des pièces archéologiques en terre cuite, en bronze et en fer retrouvées sur ces terres, un rôle de port de commerce, notamment pour la transmission de ressources métallurgiques, d’armes, d’armures, de haches de guerre, de miroirs en bronze et de pièces d’orfèvrerie. Ce commerce eut probablement lieu de la péninsule coréenne vers le Japon, car le fer ne manquait pas dans les contrées méridionales où s’était installée la confédération.
L’orfèvrerie de la confédération était d’abondant d’une grande industrie, comme en témoigne la couronne de Goryeong (cf. photo ci-dessous) frappée d’or et ornée de bijoux en jade, ou encore les boucles d’oreille en or qui y étaient fabriquées. D’anciens objets de forge comme des pinces et tenailles mais aussi des fers à cheval de maréchal-ferrant, des tas et des blocs de fer témoignent de ce passé fort industrieux.
À nouveau, les archives chinoises nous livrent ce passage comme témoin de l’industrie de Gaya :
[…] 國出鐵,韓、濊、倭皆從取之。諸巿買皆用鐵,如中國用錢,又以供給二郡。[…]
[…] Les Han (tribus chinoises), les Ye (tribus nordiques) et les Wa utilisent tous le fer qui sort de ce pays ; bon nombre de marché le vendent et l’utilisent, comme la Chine pour sa monnaie, et elle fournit les régions du fleuve Nakdong et les commanderies chinoises du Nord. [..]
Les tumuli funéraires des souverains de la confédération — près de 500 dans la capitale royale de Gimgae près de la ville de Busan actuelle — révélèrent l’organisation de l’État, et ses contacts extérieurs. Nous lui supposerons de ce fait une organisation similaire aux trois royaumes qui l’entouraient en un souverain disposé par petit territoire probablement, et des terres agricoles, environnant notamment la ville de Gimhae. Les tombes funéraires recelant très souvent des objets équestres, ou bien des poteries de guerriers enfourchant des chevaux, on devinera que Gaya était un État accordant grande importance à la chose guerrière et à l’équitation, un peu à l’instar des Mongols qui ouvrirent la voie pour l’apprivoisement du cheval plusieurs millénaires auparavant. L’époque japonaise de Kofun (300 à 552) se situant exactement dans le plein essor de la confédération, et se caractérisant par de riches tombes et leurs puissants, mais également de petites figurines en terre cuite, on pourrait y déceler l’influence de Gaya.
Certains font également mention d’une dimension chamanique parmi les souverains de la confédération, ce qui semblerait fort probable au vu de la propagation de cette pratique de la Chine des Shang-Zhou jusques dans le sud de la péninsule coréenne puis vers le royaume des Wa.
La confédération entretenait probablement de bonnes relations avec son voisin de Baekje, qui était lié par un lien diplomatique ou amical au pays des Wa ; et nous supposerons ainsi que les trois entités étaient opposées à Shilla et à Goguryeo.
Lorsque la confédération fut vaincue par Shilla (562), des flux de population de tout ordre migrèrent vers le Japon de Yamato pour s’y réfugier, et y apportèrent indéniablement leur langue et culture, comme la poterie Sueki, présentant tous les aspects de la poterie de Gaya.
(http://www.korea.net/NewsFocus/Culture/view?articleId=180271)
(Figure 2) Couronnes de Gaya (National Museum of Korea)
(https://www.museum.go.kr/site/main/relic/recommend/view?relicRecommendId=16886)
Arc troisième : les pirates Wakô | 倭寇編
Commençons tout d’abord par l’étymologie des deux sinogrammes du mot Wakô : 倭 (« nain », mais ici appellation très péjorative et désuette du Japon) et 寇 (brigand).
« Histoire de Goryeo (高麗史) » (rédigé en fin du XIVe siècle), année 10 de l’Empereur Gojong (高宗) (1223) :
[…] 倭寇金州 […]
[…] Les pirates (ont débarqué à) Gimhae […]
Dans les eaux des mers séparant la Chine, le Japon (surtout l’île de Kyûshû) et la péninsule coréenne, sévirent du XIIIe au XVIe siècle, les pirates Wakô, des brigands et canailles de tous horizons, du Japon au Portugal en passant par la Chine et les Indes, et incluant des guerriers, des commerçants mais aussi des samouraïs déchus.
Ces hommes enrôlés des quatre alentours des eaux d’Asie du Sud-Est profitèrent de nombreuses fois de l’affaiblissement des pouvoirs japonais, chinois et coréen pour se lancer dans des activités néfastes et illégales ; ils furent de grands pilleurs d’objets précieux (soieries, métaux) mais aussi contrebandiers de denrées comme le riz (alors mets luxueux) ou encore le millet qui servait de tribut et que transportaient des navires spécialement affrétés ; aussi les eaux séparant Chine, Corée et Japon ne purent alors favoriser les échanges culturels ou linguistiques pendant près de deux siècles.
Ces pirates spoliaient les pêcheurs du fruit de leur labeur et dépouillaient les puissants de clans locaux de leurs biens ; ils n’hésitaient guère à embarquer de force des citoyens coréens pour les revendre dans les archipels de Ryûkyû ; mais ils furent presque anéantis par le roi Taejong de Joseon (fin du XIVe siècle), qui avait décelé leur repère dans l’île de Tsushima, tandis que lesdits pirates profitaient que le Japon s’effondrait lui aussi vers la fin de l’époque Nanboku (fin du XIVe siècle). L’activité délétère et clandestine de ces pirates avait tant affaiblit le royaume de Goryeo (918 à 1392), que sa chute pourrait leur être due, alors même qu’il était assailli par les invasions du puissant Empire mongol.
En l’an 1443 fut signé le traité de Gehae, un accord commercial interdisant la piraterie et prônant le libre-échange. On signa également un traité d’échange sino-japonais au début du XVe siècle entre la dynastie des Ming et le Japon de Muromachi, mais la contrepartie chinoise s’affaiblissant, la piraterie reprit son cours.
Vers les débuts de l’époque d’Édo (1600 à 1868), certains citoyens japonais ignorèrent les mesures d’autarcie mises en place par le shôgun Tokugawa Ieyasu au XVIe siècle, et s’aventurèrent par les mers comme brigands.
Enfin, les pouvoirs d’Édo et de Qing (1644 à 1912) s’assurant avec grande sévérité de maintenir des mers et côtes sûres pour tous, la piraterie sombra définitivement.
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Arc quatrième : les chroniques de la pomme | 林檎柰之編
Comme nous l’avons observé plus haut, le mot coréen « 님금 (nimgum) qui devint 임금 (imgum) (souverain) » signifiait également « pomme », laquelle était sûrement une espèce ancienne de pomme provenant d’Asie centrale (Kazakhstan), son lieu d’origine.
À l’époque de Goryeo (918 à 1392) le mot « pomme » s’écrivait très probablement sous les sinogrammes 林檎, comme l’atteste le 계림유사 (gerimyousa) ou « Choses de la forêt des poules » — cet ouvrage est expliqué plus haut —, mais la prononciation — expliquée plus loin —, y semble dialectale, et provient très probablement du royaume de Shilla (57 avant à 918 de notre ère) que Goryeo a peu à peu grignoté et dont il a absorbé les territoires, mais aussi très probablement une grande partie de la langue.
Ce nom 임금 (imgum) (pomme) s’est par la suite transformé en 능금 (numgum) (pomme sauvage) vers le XV-XVIe siècle, probablement pour éviter la confusion entre le souverain (임금) et le vulgaire fruit, avant de devenir 사과 (sagwa), le mot actuel.
Au Japon, les mêmes sinogrammes 林檎 prononcés à la japonaise りんご (ringo) furent très probablement exportées par le royaume de Goguryeo via le royaume de Baekje : nous en lisons les premières mentions dans l’ouvrage médical et botanique Noms japonais des plantes médicales (本草和名)(918) et Recueil des noms japonais des choses et objets (和名類聚抄) (934), une encyclopédie de noms japonais écrits phonétiquement en manyôgana.
Revenons à présent sur les traces les plus anciennes de la pomme pour observer une nouvelle fois la transmission langue-culture à tous les niveaux dans le monde sinogrammique.
Nous remarquerons que la pomme est mentionnée pour la première fois dans le poème Shanglin-fu (上林賦) écrit sous la Chine des Hans au Ier siècle avant notre ère sous le sinogramme 柰 (pomme sauvage), avant que ce mot ne tombe en désuétude au profit d’une autre variété de pomme, probablement échangée via les Routes de la Soie, car les pommes s’y étaient propagées bilatéralement d’Asie centrale vers l’Europe et la Chine. On appelait alors la pomme 林檎 [línqín] (prononciation contemporaine), mot que l’on mentionne pour la première fois à l’époque des Jin de l’Est au IIIe siècle de notre ère, dans le Guangzhi (廣志), une encyclopédie des connaissances chinoises d’antan :
林檎,似赤奈子,亦名黑禽,亦名來禽。言味甘,熟則來禽也。
Pomme, ressemble à la pomme sauvage, et s’appelle aussi Heiqin, ou encore Laiqin ; son goût est sucré et la dernière est celle que l’on récolte (pour la cuire).
Fautes d’archives, pour les raisons sus-mentionnées, le mot coréen apparaît pour la première fois dans le poème Chant du roi Cheoyong (처용가 고려가요) (918 à 1392), lui-même basé sur le court hyangga intitulé Chant du roi Cheoyong (처용가) (879) et célébrant le roi Cheoyong de Shilla, à l’époque de Shilla unifiée (668 à 918).
Nous supposerons ainsi que le mot s’est répandu des plaines d’Asie centrale vers la Chine des Hans — si ce n’est avant cela —, pour passer dans la péninsule coréenne via le royaume de Goguryeo, mais se transformer dans le royaume de Shilla, lui-même formé à partir d’anciennes colonies chinoises, d’où une probable influence linguistique.
Il est néanmoins passé au Japon, sous son nom actuel de りんご (ringo), par les Jin de l’Est et le Royaume de Baekje, sous l’appellation de 님금 (nimgum) (林檎) japonisée en りんご (ringo). Ces deux royaumes s’entendaient cordialement comme précédemment mentionné, et la transmission s’opéra vers la fin de l’époque Yayoï (900 avant à 300 de notre ère), ou le début de l’époque Kofun (300 à 538).
On nota en revanche ce mot pour la première fois à l’écrit — l’écriture japonaise phonétique débutant à ce moment-là — vers les débuts de l’époque Heian (794 à 1185), sous une prononciation phonétique qui donnerait りんご (林檎 | ringo), mot qui vit toujours en japonais contemporain.
Dans la péninsule coréenne, cette fois, ce mot était passé des Chinois des Hans vers les différents royaumes de l’époque des Trois Royaumes qui en possédaient probablement une prononciation différente. Le royaume de Baekje qui s’entendait fort bien avec les Jin de l’Est le prononçait sûrement님금 (nimgum), et le royaume de Shilla le prononçait plus proche d’un mot en 매 (mae), peut-être dérivé du sinogramme ancien 柰 (pomme sauvage), comme dans le Chant du roi Cheoyong (처용가 고려가요) (918 à 1185) où l’on observe le mot 머자 (meoja) qui fait sûrement référence à une espèce dérivée de la pomme ou de la prune. Cela semblerait logique car le 계림유사 ou Choses de la forêt des poules décrivant les mots de l’époque Goryeo (918 à 1392) — qui a englouti les terres du Royaume de Shilla — y fait référence sous les sinogrammes 悶子訃 prononcés à notre époque 문자부 (munjabu), et dont la première syllabe commence par un « m », ce qui n’est pas anodin.
Ce mot dialectal tomba vite en désuétude, probablement à cause des invasions mongoles de cette époque qui détruisirent beaucoup du patrimoine culturel coréen. Le mot reparaît en revanche sous sa forme archaïque ancienne 니ᇰ그ᇝ (닝금 (nimgum)) dans l’ouvrage Sinogrammes pour éduquer le peuple (훈몽자회 | 訓蒙字會) (1527) permettant d’apprendre les sinogrammes en hangul. Ce vocable perd ensuite ses vieux hanguls, probablement après les invasions japonaises de fin du XVIe, siècle et devient 님금 (nimgum), comme détaillé dans Trésors de la médecine de l’Est ( 동의보감| 東醫寶鑑) paru en 1613.
Le mot mute à nouveau en 능금 (nunggum) dans Grande encyclopédie des choses et arts (광재물보 | 廣才物譜), écrite au début du XVIIIe siècle, pour être remplacé par 사과 (sagwa) au XIXe siècle. Ce vocable fut d’ailleurs écrit sous les sinogrammes 沙果 (1947) par erreur, en utilisant le sinogramme 沙 (« sable ») tandis qu’il devait être écrit 楂 (« aubépine »), tous deux de même prononciation : 사 (sa). Le dernier sinogramme 果 signifiant « fruit ».
En Chine, l’assimilation de toutes les variétés de pomme en 蘋果 [píngguǒ], le mot actuel, se remarque depuis le XVIe siècle.
Ainsi, des plaines de l’Asie centrale, vers la Chine des Hans, puis des Jin, et les différents royaumes de Corée pour traverser les eaux jusqu’à l’archipel japonais, la pomme semble avoir traversé moult aventures linguistiques et historiques.
Ce petit fruit commun étaie derechef le partage culturel entre Chine, Japon et Corée.
Arc cinquième : les particules et suffixes de respect | 助詞敬称編
Les particules sont des entités fondamentales mais le plus souvent mystérieuses des langues japonaise et coréenne et se voient souvent diabolisées par certains grammairiens, qui les présentent d’une manière tout à fait insupportable aux apprenants.
À l’aide des particules, nous pouvons, en guise d’exemple, lier un sujet à son verbe, exprimer un sujet direct ou indirect, rajouter de l’emphase et exprimer des nuances parfois inexprimables en français. Il en existe des dizaines, certaines d’usage tout à fait courant, d’autres anciennes, voire désuètes, et tirant probablement leur origine du chinois classique, qui plaçait des particules en fin de phrase pour indiquer l’exclamation, la surprise ou encore l’interrogation : cela s’observe encore auprès des particules du chinois contemporain.
Pour remonter à l’origine des particules, nous nous voyons malheureusement limités dans les sources écrites, car l’écriture japonaise sur papier ne commence qu’au début du VIIIe siècle. La langue coréenne ancienne utilisait néanmoins les systèmes de lecture coréens du 향찰 (hyangchal) et 이두 (idu) lesquels présentaient déjà des particules et structures coréennes écrites en sinogrammes phonétiques, et cela depuis le V-VIe siècles pour les plus anciennes sources écrites. Il semblerait néanmoins plus probable que ces systèmes aient débuté plusieurs siècles avant cela, sous l’influence des commanderies chinoises, voire encore antérieurement, vers la fin du Néolithique avec les premières villes coréennes fortifiées proches des terre chinoises.
Nous supposerons ainsi que la langue coréenne a, historiquement et linguistiquement parlant, donné le mot d’ordre pour l’utilisation des particules en japonais. Si nous observerons de surcroît la langue des Aïnus, très probable reflet modernisé de certains fragments de l’ancestrale langue de Jômon, nous trouverons qu’elle ne contient pas de particules comme le japonais et le coréen, d’où un précieux indice sur ces entités mystérieuses. S’il y eût en effet existé des particules dans la langue de Jômon avant l’arrivée des Coréens vers 900 avant notre ère, la langue aïnue l’eût reflété ne fût-ce que par des réflexes archaïques à notre époque, or cela ne semblerait être le cas pour les constructions basiques, lesquelles eussent dû en ce cas se constituer de particules. La langue aïnue marque les cas directement dans le verbe, plutôt que par des particules liées au verbe comme c’est le cas en coréen et japonais.
Les contacts des hommes du Néolithique coréen de 900 avant à 300 de notre ère, puis des royaumes de Baekje et de la confédération de Gaya avec les Japonais de Jômon qui devinrent ceux de Yamato auront sûrement joué un rôle crucial sur le japonais ancien suivi du japonais médiéval.
Quant à la propagation même desdites particules, nous supposerons que les péninsulaires coréens, ayant navigué au Japon et s’y étant installé au soir du Néolithique, ont véhiculé les particules en proto-japonais-coréen dont la prononciation a dévié en japonais ancien. Les péninsulaires coréens, restés dans leurs terres, auront transmis ces particules à travers les différents royaumes et territoires se fragmentant pour se réunifier au fil des siècles, ce qui expliquerait ainsi l’usage identique mais la prononciation nonpareille des particules en japonais et coréen.
Voyons ici quelques particules comparées :
particule de sujet direct が (ga) et 가 (ga) ou 이 (i)
particule de sujet indirect は (wa) et 은 (eun) ou 는 (nun)
particule finale interrogative か (ka) et 까 (kka) (courant) ou 가 (ga) (soutenu)
particule de commencement から (kara) et 부터 (buteo)
et cetera
Nous comprendrons que les particules de mêmes usage et prononciation furent probablement transmises au Japon par les Coréens de Mumun. Celles dont la prononciation diffère (tout en gardant le même sens) sont probablement des reliquats anciens du proto-coréen-japonais transmis à la fin du Néolithique au Japon, tandis que dans la péninsule coréenne la prononciation avait varié, mais point l’usage.
En japonais et coréen, les particules jouent le plus souvent un rôle identique, ce qui nous laisse deviner, après avoir lu le présent article dans son entièreté et son contexte historique, que l’une de ces langues a très certainement influencé l’autre dans la conception de ses phrases. La théorie la plus plausible étant celle qui propose que la langue de la péninsule coréenne ait influé sur la japonaise de Yayoï (Néolithique), puis des Wa (Antiquité) et enfin de Yamato (Moyen Âge).
Pour comprendre l’utilisation coréanisée des sinogrammes, mais aussi les sources écrites les plus anciennes témoignant de l’usage des particules, nous allons aborder le plus vieux hyangga qui nous est parvenu (VIe siècle), les Ballades de Seodong (서동요 | 薯童謠) écrit par un roi de Baekje tandis qu’il convoitait la princesse éprise d’un autre roi du royaume de Shilla, du nom de Seodong :
Hanjas semi-phonétiques et hanguls contemporains :
善化公主主隱 선화공주님은
他密只嫁良置古 남몰래 통정해 두고
薯童房乙 맛둥 도련님을
夜矣夘乙抱遣去如 밤에 몰래 안고 간다.
La princesse Seonhwa
Se maria en secret
Et la nuit venue quitta la chambre de Seodong
En emportant quelque chose
Nous remarquerons, dans ce poème coquin pour l’époque, quela construction de la phrase en sinogramme est purement coréenne. Les sinogrammes 隱 (cacher) et 乙 (deuxième branche céleste) ne possèdent en l’occurrence aucune valeur sémantique mais ne sont autre que les particules 은 (eun) et 을 (eul) qui indiquent respectivement le sujet et la liaison nom-verbe.
En japonais, le système du manyôgana dans le manyôshû — ouvrage et système expliqués plus haut — fonctionne pareillement, et nous voyons ci-dessous un passage d’une chanson de cet ouvrage écrit au VIIIe siècle :
[…]上瀬尓 鵜川乎立 下瀬尓 小網刺渡 山川母 依弖奉流 神乃御代鴨 […]
[…] Sur le gué en amont de la rivière, on élevait des cormorans (pour la pêche), et l’aval semblait piqué en son long de petits filets de pêche, aussi les dieux des rivières et montagnes vénéraient-ils l’Empereur ; n’est-ce point là règne d’un Empereur divin. […]
Nous remarquerons ci-dessus une construction purement japonaise en sinogrammes parfois phonétiques parfois sémantiques, incluant 尓 (toi, vous (archaïque)), 乎 (appeler), 母 (mère), 弖 (sinogramme japonais vide), 乃 (ainsi) et 鴨 (canard), qui ne sont autres que les particules modernes に (ni), を (wo), も (mo), て (te), の (no) etかも (kamo).
Malgré la rareté des sources écrites, nous pourrions supposer que le système de lecture phonétique des sinogrammes coréanisés eut origine à l’époque des commanderies chinoises dans la péninsule soit au Ier siècle avant notre ère, notamment au royaume de Goguryeo puis de Shilla, ce dont témoignent les stèles de 무술오작비 et de 광개토왕릉비 (citées plus haut). Ce système résulterait principalement de fusions linguistiques des diverses tribus qui se sont partagé les contrées de la péninsule coréenne, puis, considérant les relations entre les royaumes coréens et le Japon des Wa, nous sommes maintenant plus à même de comprendre les influences mutuelles, et la possible origine des particules dans ces deux langues.
Nous observerons enfin qu’il n’existe en coréen qu’une seule particule de lieu à proprement parler, 에 (e) qui semble avoir donné la particule へ (he) en japonais, retranscrite par le manyôgana 方 (direction). Le japonais s’est forgé une autre particule, に (ni), résultant des formes de liaisons des verbes et indiquant un lieu ou un déplacement, ce qui nous indiquerait que le coréen a influencé le japonais mais que ce dernier n’était pas en manque de source pour sa langue qui s’émancipait du coréen. La particule 로 (ro) ou 으로 (uro) en coréen indique le même déplacement de lieu que に (ni) et semble donc — au vu de la prononciation — une création péninsulaire purement coréenne plutôt qu’une influence sur le japonais.
Nous avons par ailleurs appris en capture (story) Instagram que le suffixe respectueux さん (san) dérivait directement de さま (sama) qui faisait autrefois référence à l’auguste allure du palais de l’Empereur, avant de désigner une personne de haut rang, pour enfin dériver en さん (san) et s’employer à notre époque ; le suffixe ちゃん (chan) étant un dérivé affectif de さん (san). À notre époque, nous observons également l’appellation たん (tan), encore un dérivé très familier de さん (san). Voici ladite capture agrémentée de quelques compléments d’informations associés au proto-coréen-japonais :
《L’autre jour, en live, l’un d’entre vous avait posé la question de l’origine de さん (san), ちゃん (chan) et さま (sama), qui sont trois suffixes japonais exprimant le respect, ou bien l’affection envers autrui. Il faudra se référer au motさま (様) (sama) duquel ces trois les deux autres dérivent. Mais avant cela, ce mot さま (sama) semble lui-même issu du proto-coréen-japonais et de la racine sam qui a engendré le mot 삼다 (samda) qui signifie « transformer quelque chose » ou encore « donner un certain aspect à quelque chose ».
Cette racine demeura au Japon sous la prononciation さま(sama), un mot qui montra tout d’abord le respect que l’on portait envers le (magnifique et imposant) palais de l’Empereur et cette personne par la suit. Quant au sinogramme auquel on a assigné la prononciation 様, il signifiait premièrement « aspect ; allure », et faisait référence au chêne denté, un arbre à fière allure utilisé pour la construction et les véhicules anciens. Le palais de l’Empereur et l’Empereur possédaient donc une allure imposante qui inspirait le respect. Ce suffixe dériva ensuite pour révérer une personne de haut rang, soit l’Empereur, ou probablement quelqu’un de sa cour. On utilise à présent さま (sama) pour s’adresser à un supérieur ou une personne totalement inconnue à laquelle on doit témoigner un grand respect (culturel). Évitons néanmoins de le traduire par des « ô grand XXX » ou encore « très cher Monsieur | Madame XXX », car il est inhérent à la langue japonaise.
Le suffixe さん (san) est utilisé pour s’adresser à quelqu’un que l’on rencontre pour la première fois ou bien qui nous est supérieur dans la hiérarchie ou en âge ; il est cependant moins poli que さま (sama). C’est simplement une dérivation phonétique de さま (sama). Enfin ちゃん (chan) s’attache au prénom d’une personne que l’on affectionne particulièrement, mais généralement une fille. C’est une dérivation phonétique enfantine de さん (san)…》
Également dans les mêmes captures (stories), nous avons appris que le suffixe 님 (nim) descendait directement du mot 님금 (nimgum) | 임금 (imgum) signifiant « roi », une manière coréenne de révérer quelqu’un.
(Son étymologie est expliquée plus en avant du texte)
Les Japonais semblaient plus croyants et fervents dans leur caractère que leurs pairs péninsulaires et accordaient grand crédit à diverses manifestations divines de la nature : nous penserons en l’occurrence aux premières formes du shintoïsme à l’époque de Jômon et qui n’existent que peu dans la péninsule coréenne. Il semblerait par conséquent légitime que les Japonais aient créé davantage de suffixes de respect, même s’ils furent influencés probablement par la péninsule en premier lieu, qui dût l’être auparavant par les nombreux suffixes chinois employés pour parler des puissants.
Quant à l’origine même des particules, nous supposerons qu’elle est due à une longue dérivation du proto-trans-eurasien, car le proto-turc, proto-mongol et proto-tongouse partageaient si ce ne sont des particules, des réflexes linguistiques fort semblables. Le proto-coréen-japonais a été probablement influencée par le chinois classique, ses particules finales et ses suffixes de respect ; en suite de cela ces particules se sont réellement développées en coréen et japonais anciens puis médiévaux avant de nous parvenir dans un usage presque identique mais une prononciation le plus souvent tout à fait différente. Les particules 가 (ga) et が (ga), mais aussi へ (he) et 에 (e) d’un usage identique et quasi même prononciations nous sembleront ainsi des restes archaïques du proto-japonais-coréen.
Pour se rendre compte de la proximité des particules en détail, cet article compare admirablement les particules japonaises et coréennes et permet de comprendre leur ressemblance frappante.
Arc sixième : de la confusion du bleu-vert (couleur jade) | 青色編
En chinois, japonais et coréen, on confond très souvent le bleu et le vert, surtout par le sinogramme 青 (bleu-vert), très probable source de la confusion. Ce sinogramme désignait autrefois, en forme ossécaille (2000 à 1500 ans avant notre ère), un petit lopin de terre duquel sortait une jeune pousse, dont le sens dérivé fait allusion à sa couleur verdâtre tirant sur le bleu, d’où le sens très large de cette couleur.
Elle désigne en effet l’herbe, l’eau, le ciel, la nature, une personne inexpérimentée — comparée à la verdeur d’une « jeune pousse », soit un « bleu » en français —, mais aussi les feux de signalisation (XXe siècle).
Les sinogrammes 緑 (vert) et 藍 (bleu), plus précis dans leur désignation chromatique, datent de la forme sigillaire (1000 à 200 ans avant notre ère) et étaient premièrement employés pour désigner les couleurs que l’on tirait des pigments utilisés pour teinter les soieries. La teinture de la soie ayant commencé à se développer réellement sous les Chinois Hans (IIe siècle avant au IIe siècle après notre ère) avant de passer dans la péninsule coréenne puis au Japon, on comprendra ainsi que pendant près de 1500 ans, la couleur bleu-vert (青) était prééminente et s’était enracinée dans l’esprit des gens.
Si nous remontons maintenant aux sources des langues japonaise et coréenne, nous remarquerons que les mots 青(あお)い (aoi) et 푸르다 (puruda) désignent tous deux le « bleu-vert » et semblent issus d’un mot commun en proto-japonais-coréen qui a par la suite donné leur nom à deux plantes médicinales : la mauve 아욱 (auk) et la rose trémière 葵 (あおい | aoi).
Nous comprendrons ainsi que sous la puissante influence chinoise, la couleur « bleu-vert » — le plus souvent désignée par le seul sinogramme 青 (bleu-vert) — s’est également ancrée dans l’esprit des péninsulaires coréens qui l’ont ensuite probablement transmise aux Japonais.
Petite anecdote : le premier feu de signalisation au Japon date de 1930. À l’époque il fut désigné officiellement comme un « feu vert », mais les journalistes et les gens l’ont toujours désigné populairement par la couleur 青 (bleu-vert).
Arc septième : les sinogrammes nationaux | 國字編
La légende nicodicosienne raconte que les Japonais et les Coréens ne furent point satisfaits des sinogrammes qui leur parvinrent de la Chine, et en inventèrent de nouvelles versions.
Celles-ci leur permirent de transcrire certains toponymes et termes culturels, typiques de leurs contrées…
Après la transmission des sinogrammes de la Chine à la péninsule coréenne vers le Ier siècle avant notre ère (voire avant cela), puis au Japon vers le IVe de notre ère, les sinogrammes ont rayonné à travers ces deux pays sous leur forme la plus chinoise. Mais nous avons déjà appris que ces sinogrammes n’étaient pas adaptés pour écrire les langues japonaise et coréenne, aussi créa-t-on plus tardivement les hanguls et les kanas, deux écritures natives.
Parallèlement à ces écritures nouvelles, on créa les « sinogrammes nationaux », ou kokuji (こくじ) au Japon et kukja (국자) dans la péninsule coréenne.
Depuis l’introduction des sinogrammes dans ces deux pays et ce jusqu’à assez récemment, on a créé plus de 150 sinogrammes nationaux au Japon et près de 200 dans la péninsule coréenne. Il est assez ardu de retracer leurs premières occurrences, mais certains semblent avoir été déjà créés avant la publication des premiers écrits en sinogrammes phonétiques, en idu coréen et manyôgana japonais. Tous ces sinogrammes se montrent ainsi étroitement liés à la culture de ces deux pays et manifestent parfois le manque de moyens des deux peuples pour écrire leur langue avec la limitation des sinogrammes chinois.
Au Japon, nous avons entre autres :
榊 (さかき | sakaki) ou la « cléyère du Japon », un arbre endémique, se composant des sinogrammes 木 (arbre) et 神 (dieu). (Premier emploi : fin du IXe siècle)
Chaque année au Nouvel An, dans la région de Kagoshima (île de Kyûshû), notamment au sanctuaire shintoïste d’Hatayama, un prêtre shintoïste et des habitants de la région brûlent des branches de sakaki (榊), un arbre sacré du Japon, préalablement placées en croix afin d’inviter les dieux à protéger les alentours et les inciter à octroyer leurs bonnes grâces aux récoltes.
凩 (こがらし | kogarashi) ou « vent froid du nord » qui souffle à la fin du printemps et au début de l’hiver. Ce vent semble si fort qu’il semblerait pouvoir faire flétrir 枯らし (karashi) les arbres 木 (ko). Il se compose d’un arbre (木) recouvert par une partie du sinogramme du vent (風) qui est unique. (Premier emploi : XVIe siècle)
Si nous pensons aux mots de saisons souvent employés dans la poésie et les haïkus, nous pourrons comprendre le besoin de créer des sinogrammes désignant les phénomènes météorologiques japonais saisonniers.
峠 (とうげ | tôge) ou « col (de montagne) » fait référence à la croyance shintoïste selon laquelle chaque col de montagne abriterait un dieu que les voyageurs devaient vénérer.
Le col était un passage périlleux et redouté entre l’inconnu et le connu, d’où le besoin de créer ce sinogramme composé de montagne (山) et du haut (上) et du bas (下).
(Premier emploi : XVe siècle)
Dans la péninsule coréenne, nous avons entre autres :
䭏 (편 | pyeon) s’emploie pour désigner une variété de 떡 (teok) (gâteau de riz) cuit à la vapeur et coupé. L’origine de ces gâteaux de riz semble remonter au royaume de Goguryeo, mais le sinogramme paraît assez récent.
Nous y verrons sa première occurrence entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, car avant cela on employait plutôt le sinogramme chinois 餠 (gâteau de riz).
岾 (고개 | koge) ou « col (de montagne) », mais en emploi phonétique que l’on trouve dans certains toponymes, vraisemblablement liés aux montagnes et à leurs cols.
Ce sinogramme semble avoir comme plus vieille occurrence qui nous est parvenue, le Samgusaki, ou « Chroniques des Trois Royaumes (삼국사기 | 三國史記) »
(La première mention remonte donc au XIIe siècle).
倻 (야 | ya) ou « Gaya », faisant référence à la confédération de Gaya précédemment mentionnée.
(Première mention : IIIe au IVe dans les chroniques chinoises puis coréennes sus-mentionnées (XIIe siècle)).
(http://members.m-gakusei.com/index.php?%E6%97%A5%E6%9C%AC%E3%81%AE%E6%96%87%E5%8C%96)
(Figure 2) Sinogrammes nationaux coréens (국자)
(http://m.blog.daum.net/thddudgh7/16511170)
Arc huitième : cœur, poitrine et esprit | 心之編
Martine Robbeets nous avait indiqué que les mots pour « esprit ; cœur » et « poitrine » étaient liés depuis le proto-coréen japonais, et cela s’avère vrai.
Les vocables 心 (こころ | kokoro) (cœur ; esprit) et le plus rare 고갱이 (kogaengi) (moelle (arbre) ; cœur (légume)) viennent d’une même racine en proto-coréen-japonais.
On remarquera que ces deux mots venant de la racine kok font tout d’abord référence à un concept abstrait, que l’on liera à la nature, ou à la cuisine ancestrale des hommes de Yayoï-Mumun.
À présent, on dit en effet 배추 고갱이 (cœur du chou) ou encore 나무 고갱이 (moelle d’un arbre) en coréen contemporain, sans oublier l’usage figuratif de ce vocable pour parler du cœur, de l’essence d’une chose.
Cette racine a donc engendré deux mots abstraits en japonais et coréen actuels — puisqu’il désignait deux concepts de choses internes que l’on ne voyait guère en premier lieu —, qui possèdent deux « k », ce qui démontre d’autant plus leur liaison, linguistique, mais aussi historique et culturelle. Voyons-y sûrement l’origine du terme coréen contemporain 가슴 (kasum) (poitrine) commençant lui aussi par un « k ».
Prenons ensuite les mots 胸 (むね | mune) (poitrine) et 마음 (maeum) (cœur ; esprit), qui faisaient tout d’abord référence, en proto-japonais-coréen, à la poitrine féminine avant de signifier tout simplement « poitrine » en japonais et « cœur, esprit » en coréen.
Nous voyons ainsi que les mots prennent parfois une tournure abstraite mais courante, ou bien une tournure concrète mais rare.
Conclusion : un envol vers de nouveaux horizons
Cet article, plutôt qu’un document extrêmement détaillé et complet, se doit plutôt interpréter comme une tentative quelque peu audacieuse de l’auteur d’offrir aux apprenants et autres curieux de nombreuses clefs de compréhension du monde sinogrammique (Chine, Japon et péninsule coréenne). S’il avait fallu rajouter davantage de détails historiques et linguistiques, cet article aurait pris de monstrueuses allures, en se voyant ajouter pour le moins plusieurs centaines de pages, ce qui aurait découragé un lecteur un peu averti.
Nous y avons ainsi parcouru les contrées des langues sinogrammiques depuis les temps ancestraux du Paléolithique, en s’acheminant vers le Moyen Âge classique, puis le présent pour enfin clore cette marche rythmée sur une note plus contemporaine voire même futuriste. Nous devrions à présent posséder une vision plus claire de l’histoire du japonais et du coréen à laquelle vient très souvent s’emmêler celle de la Chine et de sa langue.
Il nous est apparu que ces trois entités étaient indissociables ; en expliquant de ce fait leurs entrecroisements tout le long des siècles, nous pouvons désormais comprendre les origines de nombreux pans linguistiques et culturels légués au coréen et au japonais.
Nos regards se sont ainsi portés du passé vers le présent mais aussi le futur, et nous avons aperçu le rôle pivot de la péninsule coréenne dans la diffusion de la culture sinogrammique ; mais il ne la faudrait considérer, ainsi que nous en averti Gina Barnes, comme un simple dévidoir de ladite culture car ce ne fut pas tout à fait le cas. La péninsule coréenne arbore en effet de nombreux pans de la culture chinoise qu’elle a très souvent transmis vers le Japon, mais cette transmission ne fut pas toujours volontaire ni commissionnée par la Chine. La péninsule possède de surcroît une culture à part entière et n’est donc pas qu’un lieu de transition ; tout comme le Japon et la Chine, elle vit de son propre gré, vole à sa propre allure.
Considérons de ce fait la Chine comme l’initiatrice de la culture sinogrammique et louons-la ; congratulons le Japon pour son apport shintoïste et jômoniste à cet édifice culturel ; et enfin vantons la péninsule coréenne d’avoir assumé un rôle majeur dans l’histoire de cette partie du monde.
Quiconque eût souhaité comprendre en profondeur les langues de ces trois contrées et leur culture devra sûrement se pencher sur leur histoire des temps les plus éloignés jusqu’au présent.
Remerciements
Merci énormément à Georges qui a relu l’intégralité de l’article pour qu’il soit clair et compréhensible. Je ne saurais que vous conseiller son dictionnaire publié chez l’Harmattan.
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Commentaire
BRAVO !!!!!!!!!!! INCROYABLE BOULOT DE RECHERCHE ET DE TRANSCRIPTION !!!!! UNE DINGUERIE LOL !!!!!!